1762-03-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Il y a environ un an, Madame, que je n'ai reçu d'autre Lettre de vous, que celle dont je suis honoré aujourd'hui, en date du 8e février.

Vous sçavez combien j'ai toujours plaint vôtre situation. Ma sensibilité redouble avec vos chagrins. Envérité, Madame, il est temps de finir vos malheurs, et vos courses. Le bonheur n'est, ni dans les hôtelleries d'Allemagne, ni dans les antichambres des Empereurs, ni dans les antres enfumés des procureurs et des avocats.

Puissiez vous retrouver auprès de madame vôtre mère, un peu de ce repos que vous avez perdu! Si par hazard vous étiez aussi mécontente de L'Ost-Frise, que vous l'avez été de Berlin, de Vienne, et de La Haye, je prendrais la Liberté de vous offrir un Château assez logeable pour vous, et pour tout vôtre monde. La terre est entièrement libre, et ne serait point saisie par le Roy de Dannemarck. Il n'y a guères de terre plus libre en Europe; elle a un assez beau jardin, et vous y auriez toutes les comodités de la vie. Celà vaudrait un peu mieux que Mont-riond.

Vous seriez d'ailleurs à portée des personnes pour qui vous nous intéresséz, et que vous avez mises à Tubinge. Mais il n'y a pas d'apparence que vous vous sépariez d'une mère aussi respectable et tendre que la vôtre.

Tout ce que je puis vous dire, Madame, c'est que je suis entièrement à vos ordres. Madame Denis partage mes sentiments; comptez sur nous comme sur vos vrais amis; et agréez mon tendre respect.

V.

Je ne peux écrire de ma main étant assez malade.