à Ferney 26 février [1762]
Je ne savais où vous prendre monsieur, vous ne m'avez point informé de votre demeure à Paris.
Je ne pouvais vous remercier ny de votre souvenir ny de votre excellent pâté. Je vous crois actuellement dans votre châtau. Le mien est un peu entouré de neiges. Je crois le climat d'Angouleme plus tempéré que le nôtre, et je vous avoue que si je m'applaudis en été d'avoir fixé mon séjour entre les alpes et le mont Jura, je m'en repents baucoup pendant l'hiver. Si on pouvait être perigourdin en janvier, et suisse en may, ce serait une assez jolie vie. Est il vray que vous avez des fleurs au mois de février? Pour moy je n'ay que des glaces, et des rumatismes.
Je reçois dans ce moment monsieur, votre lettre du 13 février. Je vois que je ne me suis pas trompé. Je vous tiens très heureux d'être loin de touttes les tracasseries qui affligent Paris, la cour et le royaume. Je n'ay point encor vu le mémoire de M. le maréchal de Broglie, mais j'augure mal de cette division. Voicy un petit mémoire en faveur des jésuittes. J'ay cru qu'il vous amuserait. On me mande que Madame de Pompadour est attaquée d'une goutte seraine qui luy a déjà fait perdre un œil et qui menace L'autre. L'amour était aveugle, mais il ne faut pas que Vénus le soit. Il y a un autre Dieu aveugle, c'est Plutus. Celuy là a non seulem[ent] perdu les yeux, mais les mains. J'entends les mains avec les quelles on donne, car pour celles avec les quelles on prend il en a plus que Briarée. J'ay fait une très grande perte dans l'impératrice de Russie, et je ne la réparerai pas. Elle m'accablait de bontez. Elle venait de souscrire pour deux cent exemplaires en faveur de melle Corneille. La philosophie console de tout, et il n'y a de philosophie que dans la retraitte. Jouissez de la vôtre, jouissez de vous même, et conservez moy vos bontez.