1755-01-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Bordes.

Que vos vers sont charmants monsieur et que votre amitié me devient prétieuse! il y a de si grandes beautez dans votre ouvrage que j'ay oublié que j'en étais l'objet.
Je n'ay senti que le charme de votre poésie. Lyon dites vous aime la gloire dans le sein de Plutus. Je n'en suis pas surpris. La fortune élève l'esprit quand elle est le prix d'un travail utile; elle le rétrécit et L'amollit quand elle n'est que l'effet du hazard.

Il est vray que Plutus est au rang de vos Dieux
Et ce n'est pas tant pis pour votre aimable ville
Il n'a point de plus bel azile.
Ailleurs il est aveugle; il a chez vous des yeux.
Il n'était autrefois que Dieu de la richesse,
Vous en faittes le Dieu des arts.
J'ay vu couler dans vos remparts
Les ondes du Pactole, et les eaux du Permesse.

Voylà des vers qui ne valent pas les vôtres, vous m'avez envoyé des étoffes de mr Milanais et je vous rends une aune de drap de Suisse. Vous me faittes regretter Lyon plus que jamais mon cher monsieur. Que ne pui-je encor venir en clopinant aux séances de vos académies malgré ma sciatique? J'ay toujours sur le cœur d'être party sans avoir pu rendre mes devoirs à messieurs les directeurs et les secrétaires, et sans avoir été chez tous les académiciens. Je vous supplie de vouloir bien leur dire à quel point je suis sensible à leurs bontez. Mais je ne peux vous exprimer combien je suis pénétré des vôtres. Comptez que c'est avec l'estime et l'amitié la plus sincère que je serai toujours monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

Made Denis vous fait mille compliments