1762-01-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Philibert Charles Marie Varenne de Fénille.

Sans les vers de Corneille que je commente, Monsieur, et qui m'empèchent d'en faire, je répondrais aux vers très jolis dont vous m'avez honoré.
C'est une grande récompense du peu de bien que j'ai pu faire, de voir qu'un homme de vôtre mérite veut bien y mettre quelque prix. Il est vrai que la plus horrible misère couvrait la face du petit canton qui m'appartient, et qu'à présent, sans que je me sois prèsque donné de peine, l'abondance et la propreté ont pris la place de l'indigence, et des horreurs les plus hideuses. On craignait de se marier, et de faire des malheureux, actuellement les curés font plus de contracts de mariages que d'enterrements, on est en état de payer au Roy le triple de ce qu'on payait auparavant.

Je suis très fermement persuadé qu'il n'y a point de terre dans le royaume, où l'on ne puisse produire les mêmes avantages. Mais il faudrait pour y parvenir, que les propriétaires voulussent bien quelquefois visiter leurs domaines. L'Angleterre n'est devenue si fertile et si riche, que parce que tous les seigneurs passent au moins six mois dans leurs terres. Pour moi, Monsieur, je ne voudrais sortir des miennes, que pour voir des hommes qui pensent comme vous. Je tâcherais de prendre un moment favorable, pour féliciter Mr le controlleur général; il me semble qu'il a traitté l'état, comme sa santé. Je l'ai vû chez moi très malade, et on dit qu'à présent il se porte à merveille.

J'ai L'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, Monsieur, Vôtre très humble et très obéïssant serviteur

Voltaire