[January/February 1761]

Monsieur,

Je vous supplie de lire au conseil la lettre du s^r Croze touchant la subornation sacrilège du frère Feci jésuitte, dont il demande justice à Gex.
Il est important pour la république de connaitre les jésuittes vos voisins.

Le conseil est intéressé à savoir que leur supérieur Fabré nous dit à ma nièce et à moy il y a plusieurs mois qu'il comptait faire venir cinq jésuittes de plus à Ornex. C'est au conseil à voir s'il luy convient d'avoir un tel voisinage.

J'ay l'honneur de certifier au Conseil magnifique, que les jésuittes ayant obtenu du Roy subrepticement permission d'aquérir le domaine de M^elles Baltazar, qu'ils ne peuvent avoir, puisque c'est un bien de mineurs, ils ont fait insérer dans cette permission illégale et surprise, que c'est une récompense des services secrets qu'ils ont rendu dans Geneve.

Je suis persuadé que Monsieur de Chapeau Rouge en qualité de conseiller et secret^r d'état se portera de luy même avec le plus grand zèle à rompre le funeste marché qu'il a fait avec les jésuittes en leur vendant ce domaine aux portes de Geneve, et à celles de mes terres de Ferney et de Tourney; et que Le magnifique conseil entrera dans les vües si utiles à tout le pays, de ne pas permettre que les jésuittes s'aggrandissent icy aux dépends des vrais propriétaires. Je me flatte qu'il exhortera m^r de Chapeau Rouge à suivre ses inclinations nobles et patriotiques, et à rendre aux propriétaires naturels le bien Baltazar, soit celuy qui était engagé par anticrèse, soit celuy qui était libre, le tout au même prix qu'il l'avait vendu aux jésuittes. Rien n'est plus juste ny plus convenable, et cela seul peut prévenir un procez ruineux pour luy dans le quel on verrait avec douleur le secrétaire d'état de Geneve réuni avec les jésuittes contre des pupilles qui redemandent le bien de leurs pères. J'attens tout de la sagesse et du zèle du magnifique conseil. J'ay l'honneur d'être avec respect

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire