1762-01-19, de Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville à Voltaire [François Marie Arouet].

Ce ne serait pas la peine d'avoir des amis à Paris pour ne pas être instruit des nouvelles; je ne vous parle point de celles de la politique, vous êtes en relation avec nos plus grands ministres, et je ne vous apprendrais rien.
Mais je veux vous parler de la comédie d'hier, qu'on nomme L'écueil du sage. Elle eut les plus grands applaudissements, et elle les mérite. C'est un composé de la plus agréable plaisanterie, de la plus belle morale, des plus grands sentiments. Cela est plein de choses; des pensées fines, neuves; de vers, comme vous les feriez; en un mot, cela est charmant. Je ne vous dirai pas le nom de l'auteur; il ne s'est pas déclaré; mais on dit qu'il habite dans vos cantons; si vous pouvez le deviner faites lui nos compliments. A propos de compliments, vous ne m'avez pas fait les vôtres sur le succès de Zulime; j'en suis un peu piqué, car vous savez que je suis sur cette pièce, comme je crois ici beaucoup de grands seigneurs pour leurs héritiers; j'ai toujours cru l'avoir faite. La cabale avait bien cru triompher le premier jour, mais elle a eu un pied de nez, et à la 8e et la 9e représentations, tout était plein. Melle Clairon avait besoin de repos, et on ne peut assurément rien lui refuser; mais elle la rejouera bientôt. Elle y est encore supérieure à elle même, elle arrache l'âme véritablement. Les anges ne m'ont point dit quel arrangement vous avez pris pour l'impression. Il la faut absolument imprimer tout à l'heure; cela est nécessaire, indispensable….

Adieu, monseigneur; oui, vous l'êtes, vous le serez toujours. Vous réunissez tous les titres; vous enlevez tous les sentiments, mais l'amitié sera toujours le plus vif de tous!