le [c. 30] Xbre 1761
J'ay enfin quitté mes oisons, illustre ami, pour en trouver bien d'autres icy; il me semble par vostre Lettre aimable et gaye que vous vous arrangés à merveille, vous bâtissés, vous avés construit un Théâtre, et vous faites les pièces et les acteurs; vous avés cinq ou six atteliers, vous ne perdés pas un instant et vous trouvés le temps d'avoir une correspondance établie entre toutes les puissances de la terre et tous leurs sujets, vous n'oubliés pas mesme un tendre et vieux ami, qui par le respect tendre qu'il a pour vous ne méritoit pas en effet d'estre oublié; vous vous chargés de plus de l'éducation du rejetton d'un arbre antique qui à son ombre a vu naître nostre Théâtre et tous les Théâtres de l'univers.
Melle Corneille a donc lu déjà le Cid! mais aprenés luy en le commençant à n'avoir pas une admiration aveugle pour ce grand homme, qu'elle voye que s'il n'étoit guères imitable, il a cependant été souvent égalé, et qu'Alzire et Mahomet sont des pièces qui peuvent estre comparées à ses plus belles.
Vos amusements sont nos préceptes et nos modèles. Je verray Zulime, Pierre le cruel, et l'écueil du sage; j'ay vu l'étrenne aux sots; vous vous chargés donc d'en donner à presque tout Paris. Qu'il y a icy de cette peuplade, quelle foule de gens corrompus, et à prétentions! Castiga ridendo mores, châtiés nos gens et instruisés nous; j'ay remarqué avec le plus grand plaisir, que si vostre stile est enjoué vostre écriture est ferme. C'est en vérité le caractère d'un homme de 20 ans; que le temps qui va toujours emportant de nous quelque chose ne vous dérobe rien et que l'an qui vient je puisse avec encore tous mes sens, vous faire le compliment aussi tendre que sincère.