1768-02-04, de Marie Anne Henriette Payan de Lestang, marquise d'Antremont à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, une femme qui n'est pas mde Desforges-Maillard, une femme vraiment femme, & femme dans toute la force du terme, vous prie de lire les pièces renfermées sous cette enveloppe; elle fait des vers parce qu'il faut faire quelque chose, parce qu'il est aussi amusant d'assembler des mots que des nœuds, & qu'il en coûte moins de symétriser des pensées que des pompons: vous ne vous apercevrez que trop, monsieur, que ces vers lui ont peu coûté, & vous lui direz que

Des vers faits aisément sont rarement aisés.

Elle se rappelle vos préceptes sur ce sujet, & ceux de Boileau, qui partage avec vous l'art de graver ses écrits dans la mémoire de ses lecteurs, & d'instruire l'esprit sans lui demander des efforts. Vos principes & les siens sont admirables, mais ils ne s'accordent pas avec la légèreté d'une personne de vingt-un ans, qui a beaucoup d'antipathie pour tout ce qui est pénible; heureusement je rime sans prétention, & mes ouvrages restent dans mon portefeuille: s'ils en sortent aujourd'hui, c'est parce qu'il y a longtemps que je désirais d'écrire à l'homme de France que je lis avec le plus de plaisir, & que je me suis imaginée que quelques pièces de vers serviraient de passeport à ma lettre; je n'ai point eu d'autres motifs, monsieur:

Il est des femmes beaux esprits;
A Pindare autrefois, dans les jeux olympiques,
Corinne, des succès lyriques
Très souvent disputa le prix.
Pindare assurément ne valait pas Voltaire;
Corinne valait mieux que moi:
Qu'il faudrait être téméraire
Pour entrer en lice avec toi!
Mais je le suis assez pour désirer de plaire
A l'écrivain dont le goût est ma loi.
Si tu daignais sourire à mes ouvrages,
Quel sort égalerait le mien!
Tu réunis tous les suffrages,
Et moi, je n'aspire qu'au tien.

Il serait bien glorieux pour moi, monsieur, de l'obtenir; n'allez pourtant pas croire que j'ose me flatter de le mériter, mais croyez que rien ne peut égaler les sentiments d'estime & d'admiration avec lesquels j'ai l'honneur d'être, &c.

d'Antremont