4 nov. [1761]
Mon cher Cicéron, je vous remercie de votre anecdote de Theodore Bese; et sans vanité je sçais bon gré à Beze d'avoir pensé comme moy.
Je n'aurais pas soupçonné, ce plat B . . . B.. veut dire Bèze, — ce plat traducteur de David, d'avoir eu de l'oreille. Peu de gens en ont, peu ont du goust. Bien peu connaissent le téâtre. Je me suis pressé d'obtenir des instructions de l'académie, mais je ne me presserai pas d'en donner au public. Je travailleray à loisir, et je dirai la vérité avec tout le respect qu'on doit à Corneille, avec toutte l'estime que j'ay pour luy. Mais n'ayant jamais flatté les souverains, je ne flatterai pas même l'autheur que je commente. Les Crammer ne diront leur dernier mot que cet hiver. Il faut que j'achève Pierre le Grand avant d'achever le grand Corneille. Je peux mal employer mon temps mais je ne suis pas oisif. Je m'apperçois tous les jours mon cher maitre que le travail est la vie de l'homme. La société amuse, et dissipe. Le travail ramasse les forces de l'âme et rend heureux. Vivez, vous qui avez utilement travaillé, jouissez car vous commencez à entrer dans la vieillesse. Moy qui suis jeune, et qui n'ay que soixante et huit ans, je dois travailler pour mériter un jour de me reposer. J'ay quelquefois du chagrin de ne vous point voir. Il faut que dans quelques années l'un de nous deux fasse le voiage. Venez à Ferney dans dix ans ou je vais à Paris.
V.