Ferney 25e august 1761
Je suis très fâché, Monsieur, que vous soiez si éloigné de moi.
Vous devriez bien venir coucher à Ferney, quand vous ne prêchez pas. Il ne faut pas être toujours avec son troupeau, on peut venir voir quelquefois les bergers du voisinage.
Je n'ai point lû l'âme de mr Charles Bonet. Il faut qu'il y ait une furieuse tête sous ce bonet là, si l'ouvrage est aussi bon que vous le dites. Je serai fort aise qu'il ait trouvé quelques nouveaux mémoires sur l'âme. Le 3e chant de Lucrèce, me paraissait avoir tout épuisé. Je n'ai pas trop actuellement le temps de lire des livres nouveaux.
A l'égard de mesrs les traducteurs anglais, ils se pressent trop. Ils voulaient commencer par L'histoire générale, on leur a mandé de n'en rien faire, attendu que Gabriel Cramer, et Philibert Cramer, vont en donner une nouvelle Edition un peu plus curieuse que la première. On n'avait donné que quelques souflets au genre humain dans ces archives de nos sottises, nous y ajoutons force coups de pieds dans le derrière. Il faut finir par dire la vérité dans toute son étendüe. Si vous veniez chez nous, je vous ferais voir un petit manuscrit indien de trois mille ans, qui Vous rendrait très Ebahis.
Venez voir mon Eglise, elle n'est pas encor bénite, et on ne sçait encor si elle est Calviniste ou Papiste. En attendant, j'ai mis sur le frontispice, Deo soli, voiez si vos damnés de camarades, ne devraient pas avoir plus de tendresse pour moi qu'ils n'en ont. Vôtre plaisant arabe m'a abandonné tout net depuis qu'il est de la barbare Compagnie. Il suffit d'entrer là, pour avoir l'âme coriasse. Ne vous avisez jamais d'endurcir vôtre joli petit caractère quand vous serez de la vénérable. Je vous embrasse en Deo solo.
Mes compliments à me Volmar et à son faux germe.
V.