Ferney, du 5 juin [July 1777]
Nous sommes arrivés ici à notre retour d'Italie: nous avons eu le bonheur d'en voir le seigneur, & nous en avons été d'autant plus flattés qu'il devient très sauvage, & que nous avions rencontré dans notre route plusieurs grands & notables personnages qu'il avait refusés.
Il a passé la journée entière avec nous. L'endroit de sa terre qu'il nous a montré avec le plus de complaisance, c'est l'église. On lit en haut, en lettres d'or: Deo erexit Voltaire. L'abbé de Lille s'écria: 'Voilà un beau mot entre deux grands noms! mais est ce le terme propre', ajouta-t-il riant? 'Ne faudrait il pas Dicavit, sacravit?' 'Non, non', répondit le patron. Fanfaronnade de vieillard. Il nous fit observer son tombeau, à moitié dans l'église & à moitié dans le cimetière: 'Les malins', continua-t-il, 'diront que je ne suis ni dehors ni dedans.' La religion l'occupe toujours beaucoup. En gémissant sur la petitesse de ce lieu saint, il dit: 'Je vois avec douleur aux grandes fêtes qu'il ne peut contenir tout le sacré troupeau; mais il n'y avait que 50 habitants dans ce village quand j'y suis venu, & il y en a 1200 aujourd'hui. Je laisse à la piété de mad. Denis à faire une autre église.' En parlant de Rome, il nous demanda si cette belle basilique de Saint-Pierre était toujours bien ferme sur ses fondements? Sur ce que nous lui dîmes que oui, il s'écria: ' Tant pis!'