1761-06-18, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].

Les uns voyagent, illustre ami, pour ramasser de la poudre d'or, d'autres pour la curiosité frivole d'avoir vu des contrées différentes; Paul Lucas dans ma jeunesse m'a conté des mensonges absurdes qu'il a écrits sur le sérail&c.
Un autre ne voit l'Afrique que pour en descrire les monstres, un autre visite l'Asie pour donner une description des Ruines de l'Egipte et d'Athenes ou plustost de leur ruine &c. C'est le fruit de leur pénibles égaremens; celuy que je vous recommande est parti de Rouen, pour vous entendre, pour voir l'autheur de la Henriade, d'Alzire, de l'histoire de Charles 12 et Candide, pour voir le grand génie de son siècle; mr. d'Ornay s'adresse à moy pour avoir une Lettre auprés de vostre excellence à tant de titres. Je me suis rengorgé comme un cicerone qui montre à Rome Virgile, Suetone, et Plaute, mais je ne l'ay pas fait attendre. Recevés avec bonté un habitant de la Patrie de Pierre Corneille, le voyageur est digne de cette faveur par le dessein de son voyage, mais il est impatient et je sens cette impatience pour qui va contempler le plus beau génie de son siècle, et ne me donne à grand'peine que le temps de vous assurer que je continue d'estre avec la plus sincère admiration et la plus vive tendresse &c.