1759-07-27, de César Gabriel de Choiseul, duc de Praslin à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous aviez bien raison, monsieur, de penser que la mort de Socrate serait un amusement capable d'adoucir un long et pénible voyage.
Quelque aversion que j'aie pour ce genre de vie, je voyagerais sans cesse avec plaisir, si j'avais toujours quelqu'un de vos ouvrages à lire; et au défaut des nouveaux je porte avec moi les anciens, qui ont toujours le mérite de la nouveauté et qui deviennent plus agréables et plus instructifs à mesure qu'on les connait davantage. C'est ce qui m'est arrivé pendant ma route, que j'ai abrégée en relisant entre autres un certain Candide, qui est un ouvrage charmant. Socrate ne m'est parvenu qu'ici, mais il ne m'en a pas moins fait de plaisir. On trouve dans tous vos écrits une gaité, une philosophie vraie et amie des hommes, un charme qui dégoûte des autres, et voilà le seul reproche qu'on ait à vous faire. Je suis infiniment sensible, monsieur, à cette attention de votre part; elle m'est d'autant plus précieuse qu'elle est une preuve de la justice que vous rendez à mon goût et à mon cœur, ainsi que de votre amitié. Je vous prie de me la conserver, de m'en donner souvent de pareilles marques, et d'être très persuadé de la mienne, ainsi que de tous les sentiments qui m'attachent à vous. [Permit me to present my compliments to madame Denis.]