ce 5 juin [1761] du châtau de Fernex
Voulez vous me permettre Monsieur de vous consulter sur mes affaires comme je prands souvant la liberté de consulter Mr votre cousin sur ma santé?
J'ai une tantation de mettre dix mille francs à la tontine, on dit qu'il y a encor plasse. J'aimerais mieux les rentes viagères, on prétand qu'elles sont toutes remplies. Avez vous confience dans cette tontine, et pensez vous que ce soit un bon effet après la paix? Dites moi oui ou nom, je vous garderai le secret.
Je ne suis point riche, je comte peu sur la fortune qui ne m'appartient pas. Je suis dans le cas présentement d'amasser une partie de mon revenu étant chez mon Oncle. Ce revenu est médiocre, voilà pour quoi j'aime le viager. Peut être de longtemps n'aura t'on occasion d'en faire. J'ai pour mon Oncle la plus vive amitié, je ne doute pas qu'il n'en ait beaucoup pour moi. Cependand son imagination est si vive que je me regarde toujours un peu comme l'oisau sur la branche, peut être ai je grand tort. Mais enfin je ne pourai pas me repentir d'avoir mit de l'ordre dans mes affaires, et il est sûr que quelque chose qui puisse arriver je me sacrifirai toujours pour lui.
Je vous suplie Monsieur de brûler cette lettre après l'avoir lue. Je vous parle avec la confience que vous mérités. Je ne connais rien de si respectable et de si aimable que la tribu des Tronchains et je vous suis à tous attachée pour ma vie. Je vous prie de ne me point envoier directement votre réponce, mais de l'adresser à Monsieur votre frère qui me la remettra.
Ma fortune est médiocre, voilà ce qu[i] me rand timide; je n'ai que dix mil[le] livres de rentes à moi qui sont presque tous en viager. Il faut être sage. J'en aurai onze si vous aprouvez l'emploi que je veux faire. En cas qu'il y eût encor des rentes viagères mendez le moi. Je les aimerais mieux que la tontine.
Conservez moi votre amitié, je la mérite par les sentimens avec les quels j'ai l'honneur d'être Monsieur
Votre très humble et très obbéissente servente
Denis