1765-02-02, de Marie Louise Denis à Jean Robert Tronchin.

L'estime jointe à l'amitié Monsieur que vous m'avez inspiré pour vous dès l'instant que j'ai eu l'honneur de vous connaitre m'engage à m'adresser à vous directement pour vous instruire des procédés iniques que mr de Labate exerce en votre nom avec Mon Oncle et auquels je suis sûre que vous n'avez aucune part.

Il vint il y a huit jours proposer à Mon Oncle de nommer un arbitre pour juger de l'état des lieux des Délices que mon Oncle vous remet. Nous nomâmes mr Racle, inspecteur des ponts et chaussées de la province. C'est un ingénieur, homme doux, plein de mérite et de connoissences, architecte et surtout très judicieux et très honeste homme; après avoir examiné les Délices avec soin il en a fait son raport que nous vous envoions. Mais il est si étonné des maximes de Mr de la Bate en fait de probité et du sens contourné, bistourné qu'il donne à l'acte d'aquisition, qu'il nous a avoué qu'il était impossible de traiter avec un pareil homme.

Le juif Labate, pour ménager les termes, prétand que toutes les amélioriations faites aux Délices vous appartienent et nous en sommes bien d'acord, mais que toutes les détériations vous doivent être paiés par mon Oncle. Il appelle détériorations les chambranles de plâtre qu'on a été obbligé d'ôter pour en mettre de marbre. Il dit, le chambranle de marbre appartient de droit à mr Tronchain, mais Mr de V. est obbligé de paier celui de plâtre qu'il a ôté; ainsi du reste, ce qui va à l'infini par la cantité de changemens que mon Oncle a fait dans cette maison et de bautés qu'il y a ajouté. Il pousse la chose si loin qu'il prétand que si mon Oncle avait abbatu la maison des Délices, et qu'il en eût bâti une du double plus grande, elle vous appartiendrait sans doute, mais qu'il serait obbligé de vous paier l'anciene, quoi que l'acte dise expressément que mon Oncle est maitre d'y faire tous les changemens qu'il voudra. Jugez si l'honneur et la probité qui vous animent et qui vous ont aquis la confiance de tous les honestes gens peuvent vous permetre de remettre vos affaires entre les mains d'un pareil homme.

Mon Oncle vous propose, Monsieur, de faire faire par des gens de bonne foi que vous approuverez, un état juste des améliorations et des détériorations prétandues, que mon Oncle a fait, et que peut être même Labate ne poura pas nier puis que dix mille hommes en sont les témoins, d'y joindre l'acte d'aquisition et de convantion fait entre vous et de faire expliquer l'acte et juger les faits par les deux plus habiles avocats de Paris.

Si vous étiez ici assurément cette démarche serait fort inutile. Nous ne savons pour quoi Monsieur votre frère ne s'est pas présenté dans cette occasion. Sans doute que les affaires de Geneves l'en ont empêché. Entre deux honestes gens une affaire aussi claire serait bientos terminée. Je vous avoue que mon Oncle est un peu piqué mais assurément ce n'est pas contre vous. Soiez sûr que l'oncle et la nièce vous honorent et vous aime et que personne ne vous est plus véritablement attaché que

Votre très humble et très obbéissente servente

Denis