1771-11-21, de François Tronchin à Voltaire [François Marie Arouet].

Il y a longtems que vous avés pris vos mesures pour vous assurer l’immortalité; mais il étoit resté incertain si vous passeriés en marbre à la postérité. Pigalle vient de décider la question; non pas tout à fait aux yeux de q̲q̲es jolies femmes qui vous supposent la peau aussi jeune & aussi fraische que l’esprit & l’imagination, mais aux yeux de tout ce qu’il y a d’artistes & de connoisseurs: j’en parlerois moins affirmativement si je n’avois pas à la tête de mes arrière cautions mon ami Le Moine qui trouve que l’antique n’a rien de plus beau ni peut être d’égal dans ce stile: la ressemblance frappante, la noblesse de la position, la pureté de l’ensemble, la précision des vérités de nature, tout y est porté à un point qui force l’admiration. La seule inquiétude qui me reste c’est l’incertitude où je vois l’artiste s’il exécutera en marbre ce modèle qui n’est encore qu’en plâtre. Les yeux peu faits au costume antique sont tout étonnés de ne pas vous trouver habillé par un tailleur de Paris; ceux qui ne s’effrayent pas du nud, voudroient que du moins on n’entreprît pas de le leur faire agréer à plus de 25 ou 30 ans. De son côté l’artiste est très résolu à garder son modèle sans en faire usage plus tôt que de détruire, par complaisance, le plus précieux de ses ouvrages; & l’on ne l’aura point à moins qu’on ne le lui demande de nouveau & tel qu’il est. En attendant je vous avertis que je ne me lasse point de le voir & de le revoir, de même que le mausolée du Maréschal qui est fini à q̲q̲es petites recherches près.