Mon cher maître votre grave magistrat a l'air d'avoir la gravité des chats huans.
Ils ont la mine sérieuse, et ils craignent que les oiseaux ne leur donnent des coups de bec: il ne veut donc pas qu'on découvre en riant la tète de Midas; il faut qu'il ait ses raisons. Non l'agriculture n'est point un sujet riant pour des Parisiens. Ils ne savent pas la différence d'un sillon à un guéret, mais ils se connaissent en ridicule. Malheur à qui chanterait Cerès au lieu de rire des sots.
Je voudrais que vous lussiez l' appel aux nations au sujet de notre procez du téâtre de Paris contre le téâtre de Londres. J'ay été malheureusement le premier qui ait fait connaître en France la poésie anglaise. J'en ay dit du bien comme on loue un enfant maussade devant un enfant qu'on aime et à qui on veut donner de l'émulation; on m'a trop pris à mon mot.
L'archidiacre est l'agresseur. Il a donc tort. Ne pouvait il pas louer la Motte et son Œdipe en prose, sans attaquer gens qui ont bec et ongles? Ce monde cy est une guerre. J'aime à la faire, cela me ragaillardit. Mélius non tangere clamo. Flebit et insignis tota cantabitur urbe. Il n'y a rien de si dangereux qu'un homme indépendant comme moy, qui aime à rire et qui hait les sots. Mais je ne mets pas l'archidiacre au rang des sots; et après l'avoir pincé tout doucement, je luy accorde généreusement la paix.
Mon cher maître il y a longtemps que nous sommes dans le siècle du petit esprit; celui du génie est passé. Tout est devenu brigandage. Sauve qui peut. C'est bien assez qu'il y ait eu un siècle depuis la fondation de la monarchie. Rome n'en a eu qu'un. Il n'y a pas de quoy crier. Buvons guaiment la lie de notre vin.
A propos je suis fâché que nous mourions sans nous revoir.
V.
au château de Ferney 25 avril [1761]