1761-03-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Pour Dieu, Madame, envoyez moi le portrait de madame de Pompadour; j'aimerais mieux avoir le vôtre, mais vous ne voulez pas vous faire peindre; il faut faire quelque chose pour ses amis, Madame.
Si vous n'avez pas de copiste à Strasbourg, osez me confier l'original. J'ai de la probité, je suis éxact, je ne le garderai pas quinze jours; faittes moi cette petite faveur, je vous en conjure.

Où est actuellement Monsieur vôtre fils? Je plains ses chevaux, quelque part qu'il soit, car je crois les retraittes promptes, et les fourages râres. Il est plaisant d'avoir dépensé cinq ou six cent millions pour quelques voyages dans la Hesse en quatre ans. On aurait fait le tour du monde à meilleur marché. Je n'ai d'autre nouvelle dans mon enceinte de montagnes sinon qu'on ne me païe point; mais je plains beaucoup plus ceux qu'on égorge que ceux qu'on ruine.

Avez vous actuellement, Madame, auprès de vous vôtre fidèle compagne? vous portez vous bien? êtes vous contente? Je rencontrai hier dans mon chemin un borgne, et je me réjouis d'avoir encor deux yeux. Je rencontrai ensuitte un homme qui n'avait qu'une jambe, et je me félicitai d'en avoir deux, toutes mauvaises qu'elles sont. Quand on a passé un certain âge, il n'y a guères que cette façon là d'être heureux; celà n'est pas bien brillant, mais c'est toujours une petite consolation. Un beau soleil est encor un grand plaisir; mais il me semble que vous n'avez jamais chaud sur vos bords du Rhin. N'avez vous pas fait embêllir et peigner vôtre jardin? autre ressource qui n'est pas à négliger. Je vous avertis, Madame, que j'ai fait les plus beaux potagers du royaume; vous ne vous en souciez guères. Puissiez vous avoir le goût de cet amusement; mais on ne se donne rien. Si vous n'êtes pas née jardinière vous ne le serez jamais.