au château de Ferney Le 13 février 1761
Monseigneur,
J'ai reçu la Lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'écrire du 7. février, et je me crois encor obligée d'y répondre pour vous assurer que malgré l'envie que l'on a de pallier auprès de vous l'excès où s'est porté ce malheureux Curé: Je suis persuadée que vous agirés avec l'honneur d'un homme de qualité, et la charité d'un Evêque.
Vous ne démentirez jamais ces sentimens qui sont dans votre cœur.
Si Je pouvais me persuader que mon oncle en cherchant à faire rendre Justice à ce pauvre Decroze eût pu porter quelque Atteinte à la Religion; loin de m'intéresser à cette affaire, elle ne m'inspirerait que de l'horreur. Ses motifs sont bien différens. Il croit que ce n'est point attaquer la Religion, mais aucontraire la servir, que d'empécher qu'un Curé ne la déshonore. Soiez sûr, Monseigneur, qu'il n'a d'autre envie que de faire du bien dans ses Terres et qu'il y réussit.
Il met tout en œuvre pour l'instruction des Enfans, et pour maintenir le bon ordre. Il vient encor d'établir à ses dépens un maitre d'école à Ferney où il n'y en avait Jamais eu.
Pardonnés nous donc, Monseigneur, si un voisinage tel que celui du Curé de Moëns nous allarme. On a beau dire que ses intentions étaient bonnes. Ses violences sont connues, et sa charité Chrétienne est d'une nature bien différente de celle que nous prêche l'Evangile. J'ai vu les blessures de Decroze. Je l'ai vu à la mort. Les Témoins déposent que le Curé a frappé luimême. Qu'allait-il faire chez une femme à dix heures du soir accompagné de paysans armés? Non, Monseigneur, vous ne pouvés approuver cette horreur.
Du reste, Monseigneur, si mon oncle a eu l'honneur de vous écrire quelques Lettres il était bien sûr des mains dans lesquelles il les a déposé. Votre probité, votre candeur et vos vertus, ne vous permettaient pas de publier des Lettres sans l'aveu de celui qui les écrit. L'idée n'en peut venir à quiconque a l'honneur de vous approcher. Ces sentiments de probité animent sans doute tous ceux que vous employés.
Je suis avec Respect
Monseigneur
Votre très humble et trés obéissante servante
Denis dame de Fernex