27 novbre [1760]
Le philosophe des alpes, monsieur, et sa nièce, et tout ce qui a eu l'honneur de vous voir, vous regrette.
Il nous est venu des philosophes depuis vous, mais aucun ne vous fera jamais oublier. Jugez combien Lucrece est beau en latin, puisqu'il vous fait tant de plaisir dans un si mauvais français, et jugez du peu que nous valons nous autres modernes, puisqu'aucun Français n'a osé dire la dixième partie de ce que Lucrece disait aux Romains sans témérité et sans crainte. On se plaint des fermiers généraux, et des intendants; mais combien devrait on s'élever contre des misérables qui mettent des impôts sur l'esprit, et qui tirannisent la pensée. L'ignorance et l'infâme superstition couvrent la terre. Quelques personnes échappent à ce fléau, le reste est au rang des bêtes de somme, et on a si bien fait qu'il faut des efforts pour secouer le joug infâme qu'on a mis sur nos têtes. Nous sommes parvenus à regarder comme un homme hardy celuy qui pense que deux et deux font quatre.
Jouissez monsieur de votre raison dont si peu d'hommes jouissent, et ajoutez y la jouissance de la vie dans votre belle terre, dans le sein de votre famille, et dans la société de vos amis, surtout dans celle de Mr de la Ramiere à qui nous faisons nos très humbles compliments et qui me paraît bien digne de votre amitié.
Adieu monsieur si le plaisir d'être aimé doit être compté pour quelque chose soiez sûr que vous le serez toujours dans la petite retraitte que vous avez daigné habiter. Votre petite chambre s'appelle la cellule du philosophe. Recevez mes tendres respects.
V.