11e février 1767
Je vous devais déjà, Monsieur, beaucoup de reconnaissance pour les éfforts généreux que vous aviez fait auprès d'un homme respectable, qui cette fois a été seul de son avis pour n'avoir pas été du vôtre.
Je suis encor plus reconnaissant de la Lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire et des sentiments que vous y témoignez. Il y a si peu de personnes qui cherchent à s'instruire de ce qui mérite le plus l'attention de tous les hommes; les préjugés sont si forts, la faiblesse si grande, l'ignorance si commune, le fanatisme si aveugle et si insolent, qu'on ne peut assez estimer ceux qui ont assez de courage pour secouer un joug si odieux, et si déshonorant pour la nature humaine. Cette vraie philosophie qu'on cherche à décrire élève le courage et rend le cœur compatissant. J'ai trouvé souvent l'humanité parmi les officiers, et la barbarie parmi les gens de robe. Je suis persuadé qu'un conseil de guerre aurait mis en prison pour un an le chevalier de La Barre coupable d'une très grande indécence, mais que ceux qui hazardent leur vie pour le Service du Roi et de l'état, n'auraient point fait donner la question à un enfant, et ne l'auraient point condamné à un suplice horrible. La jurisprudence du fanatisme est quelque chose d'éxécrable, c'est une fureur monstrueuse. Tandis que d'un côté la raison adoucit les mœurs, et que les lumières s'étendent, les ténébres s'épaississent de l'autre, et la superstition endurcit les âmes.
Continuez, Monsieur, à prendre le parti de l'humanité. L'éxemple d'un homme de vôtre nom et de vôtre mérite poura beaucoup. Mon âge et mes maladies ne me permettent pas d'espérer de longues années; je mourrai consolé en laissant au monde des hommes tels que vous. Je vous suplie d'agréer mon sincère et respectueux attachement.