1768-01-15, de Gabriel Podoski, prince-archbishop of Poland and Lithuania à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

J'avais depuis longtems l'honneur de Vous connaitre, comme on connait les grands hommes, par tout ce que la renommée a publié de Vous.
Votre mérite et Votre nom m'étaient conséquemment également respectables; et les ouvrages immortels qui assurent la plus belle partie de Vous même à la postérité, source féconde d'instructions et de ravissements multipliés, m'avaient fait partager avec toute l'Europe les sentiments dont l'ont remplie les chefs d'oeuvres sortis de vos mains. Ainsi, Monsieur, tout inconnu que j'étais de Vous dans ce coin de l'univers, assez heureux pour ne rien perdre dans cet éloignement des présents dont Vous enrichissez les lettres, je Vous avais Vu élevé au plus haut degré du génie, joindre à ce titre de gloire sublime, un titre plus précieux encore; je Veux dire celui de consacrer vos Veilles à la Vérité, et de travailler aux progrès de la raison; cette raison le plus beau présent du ciel, défigurée si longtems par la superstition et l'ignorance; donnée aux hommes pour les éclairer, et dont les lumières percent avec tant de difficulté les nuages épaissis par tant de siècles autour d'elle; évitée, combatue, et de qui seule cependant la terre peut espérer le bien qui doit la consoler; la Vérité cette baze solide, sur la qu'elle reposeraient la concorde et la paix.

Ainsi, Monsieur, aux Couronnes dont Vous avaient orné les talens, Vous avez ambitioné d'unir celle que vous devra l'humanité. Le tendre intérêt qu'elle Vous inspire, empreint partout dans Vos écrits, Vous a fait célébrer au fond du Nord, une grande Impératrice faite pour unir tous les titres de gloire capables de la faire admirer; (et ce qui caractérise encore plus vivement Votre zêle) vous a fait distinguér au milieu du peuple Sarmate, un homme animé des mêmes sentimens qu'Elle, et allant sous ses auspices, au bien de la Patrie, à travers les obstacles du préjugé. Souffrez, Monsieur, que je passe sur les louanges dont vos écrits ont bien Voulu m'honorer à cette occasion. J'ai dû mériter les éloges, mais je n'ai point dû les chercher. Je trouvais seulement en cecy, une occasion précieuse de Vous marquer toute l'estime dont j'étais pénétré de mon côté pour un homme tel que Monsieur de Voltaire, et je le faits avec la satisfaction la plus pleine et la plus désintéressée ne Voulant pas vous laisser ignorer, l'estime distinguée et la parfaite considération avec la quelle j'ai l'honneur d'être

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Gabriel Podoski Archevèque de Gnesne, Primat & Premier Prince du Royaume de Pologne et du Grand Duché de Lithvanie