30 Mai 1768
Mes maladies, Monsieur, m'empêchent de vous remercier de ma main, mais assurément je vous remercie de tout mon coeur.
Ces sentiments doivent être ceux de toute l'Europe. Vous avez aplani la carrière de l'équité dans laquelle tant d'hommes marchent encore comme des barbares. Votre ouvrage a fait du bien et en fera. Vous travaillez pour la raison et pour l'humanité qui ont été toutes deux si longtemps écrasées. Vous relevez ces deux soeurs abattues depuis environ seize cent ans. Elles commencent enfin à marcher et à parler; mais dès qu'elles parlent, le fanatisme hurle. On craint d'être humain, autant qu'on devrait craindre d'être cruel. La mort du chevalier de La Barre, à laquelle vous donnez si justement le nom d'assassinat, excite partout l'horreur et la pitié. Je ne puis que bénir la mémoire de l'avocat au Conseil qui vous adressa, Monsieur, l'histoire très véritable du funeste procès. Il est plus horrible que celui des Calas: car le parlement de Toulouse ne fut que trompé, il prit de fausses apparences pour des preuves, et des préjugés pour des raisons; Calas méritait son supplice si l'accusation eût été prouvée; mais les juges du chevalier de La Barre n'ont point été en erreur. Ils ont puni d'une mort épouvantable, précédée de la torture, ce qui ne méritait que six mois de prison. Ils ont commis un crime juridique. Quelle abominable jurisprudence que celle de ne soutenir la religion que par des bourreaux. Voilà donc ce qu'on appelle une réligion de douceur et de charité! Les honnêtes gens déposent leur douleur dans votre sein comme dans celui du vengeur de la nature humaine.
Que n'ai-je pu, monsieur, avoir l'honneur de vous voir, de vous embrasser, j'ose dire de pleurer avec vous! J'ai du moins la consolation de vous dire à quel point je vous estime, je vous aime, et vous respecte.
Celui que vous avez honoré de votre lettre.