1765-12-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, je me flatte que le triste évênement de la mort de M: Le Dauphin arrêtera pour quelque temps la guerre des rochets et des robes noires; qu'on ne parlera plus de bulle quand il ne s'agit que de malheureux.
De profundis. Les hommes rentrent en eux mêmes dans les grands évênements qui font la douleur publique, et laissent pour quelques jours leurs vains débats et leurs folles querelles. Jean Jaques Rousseau n'est bon qu'à être oublié; il sera comme Ramponeau qui a eu un moment de vogue à la Courtille, à celà près que Ramponeau a eu cent fois moins de vanité et d'orgueil que le petit polisson de Genêve.

Vous aurez incessamment Mr Tronchin à Paris; ainsi vous n'aurez plus de mal de gorge; pour moi, je serai réduit à être mon médecin moi même; ma sobriété me tiendra lieu de Tronchin.

Il y a un traitté des superstitions qui parait depuis peu; s'il en vaut la peine, je vous suplie de me l'envoier. J'espère recevoir dans un mois le gros ballot que Briasson a déjà fait partir. J'en commencerai la lecture comme celle des livres hébreux par la fin, et vous savez pourquoi.

J'attends aussi des étrennes de vous et de Mr Fréret, et de Bigex. Mr Boursier prétend toujours qu'il vous a écrit.

NB: à propos, voicy ce que j'ai toujours oublié de vous dire pour l'affaire des Sirven. Il me parait nécessaire que Mr De Beaumont rappelle dans son exorde la dernière avanture d'un citoien de Montpellier, qui dans le temps qu'il pleurait la mort de son fils, fut accusé de l'avoir tué; vit descendre chez lui la justice avec le plus terrible apareil, s'évanouit, et fut sur le point de mourir. Ce dernier éxemple, joint à l'avanture éternellement mémorable des Calas, fera voir quels horribles préjugés règnent dans les esprits des Visigoths. Celà peut nonseulement fournir de beaux traits d'éloquence, mais encor disposer favorablement le conseil.