au château de Ferney 30e janviera 1766
Monsieur,
Parmi les sottises dont ce monde est rempli, c'est une sottise fort indifférente au public, qu'on ait dit que j'avais engagé le conseil de Genêve à condamner les livres du sr Jean Jaques Rousseau, et à décréter sa personne, mais vous savez que c'est par cette calomnie qu'ont commencé vos divisions.
Vous poursuivites le citoien qui étant abusé par un bruit ridicule s'éleva le premier contre vôtre jugement, et qui écrivit que plusieurs conseillers avaient pris chez moi et à ma sollicitation le dessin de sévir contre le sr Rousseau, et que c'était dans mon château qu'on avait dressé l'arrêt. Vous savez encor que les jugements portés contre ce citoien et contre le sr Jean Jaques Rousseau, ont été les deux premiers objets des plaintes des représentants; c'est là l'origine de tout le mal.
Il est donc absolument nécessaire que je détruise cette calomnie. Je déclare au Conseil et à tout Genève, que s'il y a un seul magistrat, un seul homme dans vôtre ville, à qui j'aie parlé, ou fait parler contre le sr Rousseau, avant ou après sa sentence, je consens d'être aussi infâme que les secrêts auteurs de cette calomnie doivent l'être. J'ai demeuré onze ans près de vôtre ville, et je ne me suis jamais mêlé que de rendre service à quiconque a eu besoin de moi. Je ne suis jamais entré dans la moindre querelle. Ma mauvaise santé même pour laquelle seule j'étais venu dans ce païs, ne m'a permis de coucher à Genêve plus d'une seule fois.
On a poussé l'absurdité de l'imposture jusqu'à dire que j'avais prié un sénateur de Berne, de faire chasser le sr Jean Jaques Rousseau de Suisse. Je vous envoie, Monsieur, la Lettre de ce sénateur. Je ne dois pas souffrir qu'on m'accuse d'une persécution; je hais et je méprise trop les persécuteurs pour m'abaisser à l'être. Je ne suis point ami de mr Rousseau, je dis hautement ce que je pense sur le bien ou le mal de ses ouvrages, mais si j'avais fait le plus petit tort à sa personne, si j'avais servi à opprimer un homme de Lettres je me croirais trop coupable, etc.
Voltaire gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi