[1755/1756]
Deux bons amis, monsieur, qui, revenus de la gloire, de la fortune et des belles, jouissances dans le sein du repos, des charmes de la liberté, deux êtres sensibles, qui faisant leur bonheur des lettres que vous avez enrichies et des arts que vous avez éclairés, sont plus touchés d'une larme de Zaire que des intérêts puissants qui agitent le monde, deux hommes enfin assez heureux pour être indépendants, se font pourtant un devoir de vous adresser leurs vœux dans des jours où le mensonge ne laisse guère de place à la vérité.
tandis que tout cela et mille autres folies pareilles se passent à Paris et à Versailles, nous, plus sages et plus sincères, nous vous souhaitons les années de Sophocle dont vous possédez le génie, et la santé d'Anacréon dont vous avez les grâces. Voilà quels sont nos désirs; à ce souhait nous en joignons un autre, c'est que malgré tout ce qu'on dit de votre délicieuse retraite, et malgré les peintures charmantes, que vous en faites vous même, vous reveniez vivre avec vos anciens amis au milieu d'une nation que vous avez instruite; on nous avait flattés il y a quelque temps de l'espérance de vous revoir.
Ah, monsieur, si vous aviez été témoin du tumulte et de l'embarras
vous n'auriez pu vous empêcher de rire; croiriez vous même que la secte qu'on nomme ici celle des philosophes, en a tremblé; car enfin vous êtes leur maître, en la façon de raisonner, comme en celle de sentir. Ce n'est pas qu'ils ne prétendent secouer le joug; quoiqu'il en soit, nous qui savons nos philosophes par cœur, nous ne sommes plus dupes de leur sagesse, ni de leurs lumières, nous n'avons dans la plupart de leurs écrits
Aussi comme vous pouvez penser avons nous abandonné la secte et les sectaires pour quelques hommes aimables, qui ressemblent assez bien à ceux que Catulle appelle venustiores en parlant des amis de Lesbie, vous jugez que ces honnêtes gens là doivent se rencontrer aussi chez quelque Lesbie moderne; car enfin, Mr, il faut en revenir à ces jolis êtres pleins de caprices et pleins de charmes, quitte à nous consoler par notre inconstance de ce que nous garde leur légèreté; en effet, n'est ce pas assez que la tendresse dure autant que le plaisir? Chaulieu avait raison.