1756-12-31, de Joseph François Edouard de Corsembleu Desmahis à Voltaire [François Marie Arouet].

Deux bons amis, monsieur, qui, revenus de la gloire, de la fortune et des belles, jouissances dans le sein du repos, des charmes de la liberté, deux êtres sensibles, qui faisant leur bonheur des lettres que vous avez enrichies et des arts que vous avez éclairés, sont plus touchés d'une larme de Zaire que des intérêts puissants qui agitent le monde, deux hommes enfin assez heureux pour être indépendants, se font pourtant un devoir de vous adresser leurs vœux dans des jours où le mensonge ne laisse guère de place à la vérité.

Tandis que composant sans peine
Mille vers sans facilité,
Quelque bel esprit apprêté
Décore du nom de Mécène
Quelque ignorant accrédité
Et prodigue celui d'Hélène
A quelque belle sans beauté,
Tandis que d'un œil intrépide
Lorgnant quelque folle insipide
Que d'un rire faux et stupide
Accompagnant tout ce qu'il dit
Et portant haut sa tête vide
Chez Gerbaut, Dulac ou Zaïde
Quelque fat achète à crédit
Son mérite le plus solide,

tandis que tout cela et mille autres folies pareilles se passent à Paris et à Versailles, nous, plus sages et plus sincères, nous vous souhaitons les années de Sophocle dont vous possédez le génie, et la santé d'Anacréon dont vous avez les grâces. Voilà quels sont nos désirs; à ce souhait nous en joignons un autre, c'est que malgré tout ce qu'on dit de votre délicieuse retraite, et malgré les peintures charmantes, que vous en faites vous même, vous reveniez vivre avec vos anciens amis au milieu d'une nation que vous avez instruite; on nous avait flattés il y a quelque temps de l'espérance de vous revoir.

Caché dans une épaisse nue
Et parcourant ce globe avec rapidité
Le mensonge, dit on, trouva la vérité
Qui, comme on sait est toujours nue.
Elle est confiante, ingénue,
Il est plein de témérité.
De cette rencontre imprévue,
Naquit une divinité
Qui dans le monde est fort connue;
Cette reine des curieux
Couverte d'oreilles et d'yeux
Ce démon inquiet qui préside aux nouvelles,
Ce fantôme léger, dont les pieds ont des ailes,
Et dont la trompette a cent voix,
Qui sait tout, qui dit tout, qui publie à la fois
Et nos amours, et nos querelles,
Et les revers honteux, et les brillants exploits
Et les aventures des belles
La renommée enfin… à tous les beaux esprits
Comme à tous ceux qui se piquent de l'être
Avait annoncé que leur maître
Allait revenir à Paris.

Ah, monsieur, si vous aviez été témoin du tumulte et de l'embarras

De ces petits aréopages
Où l'on voit présider quelque antique beauté
Qui rassemblant de petits personnages,
Recueillant de petits suffrages
Et s'appesantissant sur de petits ouvrages
Croient dicter les arrêts de la postérité,

vous n'auriez pu vous empêcher de rire; croiriez vous même que la secte qu'on nomme ici celle des philosophes, en a tremblé; car enfin vous êtes leur maître, en la façon de raisonner, comme en celle de sentir. Ce n'est pas qu'ils ne prétendent secouer le joug; quoiqu'il en soit, nous qui savons nos philosophes par cœur, nous ne sommes plus dupes de leur sagesse, ni de leurs lumières, nous n'avons dans la plupart de leurs écrits

Trouvé que de vieilles maximes,
Qu'on prise plus qu'on ne doit,
Et chez eux que des fous sublimes
Qui sont plus sots qu'on ne croit.

Aussi comme vous pouvez penser avons nous abandonné la secte et les sectaires pour quelques hommes aimables, qui ressemblent assez bien à ceux que Catulle appelle venustiores en parlant des amis de Lesbie, vous jugez que ces honnêtes gens là doivent se rencontrer aussi chez quelque Lesbie moderne; car enfin, Mr, il faut en revenir à ces jolis êtres pleins de caprices et pleins de charmes, quitte à nous consoler par notre inconstance de ce que nous garde leur légèreté; en effet, n'est ce pas assez que la tendresse dure autant que le plaisir? Chaulieu avait raison.