[Geneve ce 23 août 1760]
Ouï mon très cher Monsieur, je sais à merveilles que malgré vos affaires & vos plaisirs, vous savez toujours trouver le temps de rendre service: je sais encore que l'on est enchanté de vous être obligé, c'est du moins ce que je sens bien vivement je vous assûre.
J'envoye aujourd'huy à Madame d'Epinaj sous l'envelope de son marj un exemplaire du Receuil des facéties pour les six premiers mois de l'an 1760. Elle recevra dans peu par la même voye le premier Vol. de l'histoire de Russie à laqu'elle on corrige quelques fauttes par des Cartons. J'aj pris la liberté de joindre à ce Recueil, un petit paquet pour M. de Woranzoff; faittes en recevoir mes excuses je vous prie à Made d'Epinai. Vôtre exemplaire partira Lundj, j'aurois pu l'envoier aujourd'huy, mais avant que de me servir de l'addresse de M. Fontaine, je veux faire une tentative auprès du pauvre Gallatin, qui est encore tout étourdj de la mort de son fils cadet, tué à cette diable d'affaire de la réserve de M. du Muy: un homme de vôtre connoissance m'écrivoit l'autre jour, ce Monsieur de Muy là n'est pas comme l'Intimé; son commencement n'est pas ce qu'il sait le mieux. Le Roj de Prusse a joint le Prince Henry; la première Colonne des Russes est auprès de Breslaw, gare. Le Prince Ferdinand en use le plus galamment du monde avec les prisonniers suisses; après avoir offert sa bourse aux officiers, il les renvoye chez eux, & les soldats à Landau.
M. Lambert est un homme auquel je ne comprends rien, il entame une affaire, on luy répond, il ne réplique pas; nous nous verrons cet hyver; en attendant Robin mouton continuera son petit tripot. Madame d'Epinai voudra bien que le Recueil ne sorte pas de ses mains jusques à ce que l'Edition paroisse, c'est à dire pendant 3 semaines ou un mois. Cromelin passera ici encore un an; pour moj j'arriverai à Paris mort ou vif avant la fin de l'année.
Le Courier va partir. Mille pardons mon très cher Monsieur; j'acheveraj ma lettre lundj, je vous embrasse bien étroittement & bien tendrement.
Cramer