1760-06-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Count Ivan Ivanovich Shuvalov.

Monsieur,

Par une Lettre de Monsieur de Keyserling vôtre ami, reçüe aujourd'huy en même temps que la vôtre, je vois que vous avez eu la bonté de partager toutes mes inquiétudes; et je me flatte qu'elles sont calmées; les ordres qu'on a donnés à Hambourg mettront probablement un frein à l'avidité des Libraires; j'aurai le temps de consacrer tous mes soins au désir de vous plaire; je pourai attendre en paix les nouvelles instructions dont vôtre Excellence m'a flatté; on se conformera en tout à vos volontés tant dans la rédaction du second volume, que dans les corrections nécessaires au premier.
Ce qui n'était d'abord pour moi qu'une occupation agréable devient aujourd'huy mon principal devoir; il semble que vous m'ayez fait un de vos concitoyens en me chargeant d'écrire une histoire, qui doit faire voir combien votre pays est respectable. Le jeune Monsieur De Voronzof m'a fait l'honneur de venir plusieurs fois dans ma retraitte, et a augmenté mon zèle pour votre patrie. Tous les jeunes gens de vôtre cour que j'ai vus, m'ont paru fort au dessus de leur âge; mais Mr De Voronzof m'a paru au dessus d'eux; j'en excepte toujours mr de Soltikoff car je ne peux donner à personne la préférence sur lui. Le mérite de tant de voyageurs de vôtre païs, est une meilleure réfutation des injures attroces du philosophe, que tout ce que je pourais dire. Je souhaitte passionément que les Autrichiens, et les Français, secondent cette année vos nôbles éfforts, et nous procurent une paix glorieuse devenüe nécessaire à L'Europe.

J'ai l'honneur d'être avec les sentiments les plus respectueux, et un attachement inviolable

Monsieur

De vôtre Excellence,

Le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire