1760-05-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Acte 5, scène seconde

MEDIME, armée, soldats dans l'enfoncement
à son père à sa suitte

Non, n'allez pas plus loin — frappez, et vous, soldats
Laissez périr Médime, et ne la vangez pas.
Vous n'avez que trop bien secondé mon audace.
J'ay mérité la mort, méritez votre grâce.
Sortez di-je.

MOHADAR

Ah cruelle — esce toy que je voy?

MEDIME, en jettant ses armes

Pour la dernière fois seigneur écoutez moy.
 . . . ..
 . . . ..
Je baise cette main dont il faut que j'expire,
Mais pour prix de mon sang pardonnez à Tamire,
C'est assez vous vanger, et ce sang à vos yeux
Ce sang qui fut le vôtre est assez prétieux.

Peutêtre ces deux derniers vers, prononcez avec une grandeur mêlée de tendresse pouront faire quelque effet.

N. b. que dans la dernière scène, Prohador dit

J'ay trop vu je l'avoue en ce combat funeste.

Il y avait

J'ay trop vu malgré moy dans ce combat funeste,

et cela faisait deux malgré moy en deux vers.

Voylà mon divin ange de quelle manière j'ay obéi sur le champ à votre lettre, et si vous n'êtes pas content, je trouverai peutêtre quelque chose de mieux.

Je sacrifie mes craintes et mes remords aux espérances et à l'absolution que vous me donnez. Allons donc, puisque vous l'ordonnez. C'est déjà quelque chose que madelle Gossin ne joue pas Enide, mais gare que Melle Clairon ne donne de ses tons à melle Hus, et qu'aulieu du contraste intérressant de deux caractères opposez on ne voye qu'une écolière répétant sa leçon devant sa maîtresse. En ce cas tout serait perdu. Melle Clairon en sait elle assez pour enseigner un jeu différent du sien?

Je suis mortifié en qualité de Français, d'homme, d'être pensant, de l'affront public qu'on vient de faire aux mœurs en permettant qu'on dise sur le téâtre des injures atroces à des gens de bien persécutez! A t'on lâché un plat Aristofane contre les Socrates pour acoutumer le public à leur voir boire la ciguë sans les plaindre? Est il possible que madame de la Mark ait protégé si vivement une si infâme entreprise?

Vous me faittes un plaisir mon cher ange en donnant le produit de l'impression à le Kain. Il faudra qu'il veille à empêcher les éditions furtives.

Vous pouvez promettre le produit de l'édition de Tancrede à Melle Clairon. Ainsi il n'y aura point de jalousie, et le Kain poura hautement jouir de ce petit bénéfice supposé que la pièce réussisse. Vous saurez au reste que Tancrede est corrigé comme vous et made Scaliger l'avez ordonné.

Mais je vous demande une grâce à genoux. Il y a un mr Jaques à Paris. Vous ne connaissez point ce Jaques. C'est un homme de lettres qui a du talent et qui est sans pain; il voulait venir chez moy, j'ay pris malheureusement à sa place une espèce de géomètre qui me fait des méridiennes, des cadrans et qui me lève des plans, et je n'ay rien fait pour le pauvre Jacques.

Je luy destinais 500lt sur la part d'auteur que je donne aux comédiens, et 200lt sur l'édition que je donne à le Kain (supposé toujours le succèz dont mes anges me flattent).

Au nom de dieu réservez 500lt pour Jaques; il serait même bon qu'il présidât à l'édition, et qu'il fît la préface.

Vous me direz, que ne donnez vous à Jaques 500lt de votre bourse? Je vous répondrai que je suis ruiné, que j'ay eu la sottise de bâtir et de planter en trois endroits à la fois, que j'ay chez moy trois personnes à qui j'ay l'insolence de faire une pension, que made Denis après la réception à Francfort a droit de ne se rien refuser à la campagne, que la proximité d'une grande ville et le concours des étrangers éxige une grande dépense, qu'enfin je suis devenu un grand seigneur, c'est à dire que j'ay des dettes et point d'argent avec un gros revenu. Voylà mon cas, il ne faut rien cacher à son ange gardien. Vous ne m'avez point répondu sur la juste haine que je porte à la ville de Paris; esce que je n'ay pas raison? Mais j'ay bien plus raison de vous aimer jusqu'à mon dernier moment avec la plus tendre reconnaissance. Me de Scaliger permet elle de luy en dire autant?

J'ay oublié l'adresse de Jaques. Il demeurait à Paris, rue St Jaques près de la fontaine st Severin chez . . . . Je ne m'en souviens plus. C'est un mr Audelet ou Audet, homme d'affaires . . . . On pourait donner des billets à Jaques.