22 Avril 1760, par Genève, aux Délices
Monsieur,
La personne qui est allée à Francfort sur le Mein, et qui s'est chargée de s'informer de l'avanture du paquet du mois de septembre, ou octobre dernier, me mande qu'on attend de Hambourg tous les jours, une Edition de L'histoire de Pierre le grand, sous le nom des Libraires de Genève.
Cette nouvelle est assez vraissemblable, vû le rapport cy joint du directeur des postes de Strasbourg; les Libraires de Genêve ont tiré à grands frais huit mille éxemplaires de leur Edition, qui leur restent entre les mains. Je fais l'impossible, depuis quatre mois pour les appaiser. Je suis toujours entièrement aux ordres de Vôtre Excellence. Le plus grand de mes plaisirs dans ma viéillesse, est de travailler au monument que vous érigez au plus grand homme du siècle passé. La multitude épouvantable de Livres qui s'accumule de tout côté, ne permet peut être pas qu'on entre dans beaucoup de détails; l'esprit philosophique, qui règne de nos jours, permet encor moins un fade panégirique; le milieu entre ces deux extrémitez est difficile à garder; mais je ne désespère de rien, Monsieur, quand je serai aidé de vos conseils et de vos lumières; ce sera par vôtre seul moyen que je pourai parvenir à ne blesser ni la vérité ni la délicatesse de vôtre cour, ni le goût des gens de Lettres qui seuls décident, à la longue, de la bonté d'un ouvrage. Je souhaitte surtout que vôtre histoire de Pierre le grand dans laquelle je ne suis que vôtre copiste puisse servir de réponse aux calomnies répandües contre vôtre nation et contre vôtre auguste Souveraine dans le recueil qui vient de paraître. J'ai l'honneur d'être avec le plus respectueux dévoüement
Monsieur
De Voltre Excellence,
Le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire