1759-12-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Je voi madame par votre charmante lettre que votre auguste impératrice est dans le temple du bonheur comme dans celuy de L'immortalité.
Qui a bâti l'un, mérite bien d'habiter l'autre.

Vous devez avoir reçu ma réponseà la première lettre dans laquelle vous me parliez de ce temple que vous orniez de tous les charmes de votre esprit. Vous ne me faittes l'honneur de m'écrire que quand vous avez des succez à mander. Vos lettres sont pour moy des postillons sonnants du cor. Vous devriez mettre des feuilles de laurier dans le paquet comme les anciens romains. J'ay partagé votre joye et votre entousiasme, je vous supplie madame de peindre de vos belles couleurs à M. le comte de Caunits et à M. le comte de Choiseuil tous les sentiments que vous m'avez fait éprouver.

Voicy un temps heureux pour vous madame. On dit que votre procez est en très bon train et je juge par tout ce que vous me voulez bien dire de vos affaires que la terre de Kniphauze vous reviendra grâce aux soins infatigables de cet admirable monsieur du triangle qui prend si bien le party des dames à qui on fait des injustices. J'en reviens toujours là. Je ne serai point content que votre adverse partie ne soit condamnée aux dépends et à l'amande au moins. Ne tient il donc qu'à ruiner deux ou trois familles? et en sera t'il quitte après cela pour garder la moitié de votre bien? Espérez en votre avocat de Bruxelles. Comptez sur luy madame. Il a affaire à un perfide chicaneur, mais personne ne sait mieux faire valoir les loix que votre avocat, personne ne met les affaires dans un plus beau jour. Et d'ailleurs il a la première des qualitez que Cicéron recommandait à un orateur, la probité. J'espère tout de luy: on dit que les procez sont longs en Allemagne, mais le conseil aulique et Dieu sont justes.

Dittes moy je vous en prie madame si vous êtes satisfaitte de votre destinée, si les dépenses de vos voiages ne vous ont point épuisée. Tout m'intéresse de vous. Je voudrais savoir jusqu'aux moindres particularitez de votre vie. Je suis à vos ordres jusqu'à la fin de la mienne.

V.