aux Délices près de Geneve 30 juin [1757]
Il y avait une demi heure madame que ma nièce et moy nous sautions de joye dans mon hermitage quand votre belle lettre nous a confirmé la nouvelle du gain d'une partie du procez de votre adorable duchesse.
Ce n'est pas assez de gagner un incident, il faut que votre chicaneur soit condamné aux dépends et à l'amande. J'espère baucoup dans ce célèbre avocat de la meilleure cause du monde, que vous avez l'avantage de voir quelquefois. Il est éloquent, il est actif, il est plein de ressources comme j'avais eu l'honneur de vous le mander. Il nous rendra bon compte de la partie adverse, et la manière dont il conduit ce procez le comblera de gloire.
J'ay envoyé votre proposition de louer pour l'année qui vient, et je n'ay point encor eu de réponse. Vous aurez tout le temps de changer d'avis d'icy à un an, mais moy je ne changerai jamais. Je souhaiterai toujours de partager avec vous la douceur de ma retraitte. Je croiray qu'après avoir vu les cours les plus brillantes, après avoir essuié les amertumes d'une vie agitée il faut bien jouir enfin du repos. Mais c'est un bonheur qui n'est pas fait pr tout le monde. Il y a de belles imaginations madame que le repos effarouche, et cela me fait trembler.
Enfin vous viendrez être tranquile et heureuse quand vous pourez: plût à dieu que vous pussiez faire un accomodement stable et solide! quelqu'il fût vous y gagneriez. Il n'est pas possible qu'un mari qui est retenu par l'amour de la réputation, que des enfans qui commencent à être grands, laissent une femme, une mère dans la peine et dans le besoin. Il y a des devoirs qu'il faut absolument remplir. Je ne vois vos affaires qu'à travers un nuage, mais je les vois avec intérest et avec douleur. Je fais peutêtre inutilement des vœux pour votre bonheur, le mien serait de vivre avec vous, et de vous renouveller tous les jours mon tendre respect.
V.