aux Délices 27e juillet 1759
Continuez, aimez la campagne, ma chère nièce, c'est vie de patriarche.
Aimez vôtre terre. Plus vous la travaillerez, plus vous vous y plairez. Je vous plains seulement d'être trop grande dame, et de recevoir le produit des terres des autres sans vous donner le plaisir de l'agriculture. Le bled qu'on a semé vaut bien mieux que celui qu'on recueille des moissons d'autrui. Je vais me servir de mon beau semoir à cinq tuyaux, et cette pièce de menuiserie me fait plus de plaisir que des pièces de théâtre. Je vois que vôtre château sera très logeable. Je vous réponds que je viendrai le voir dès que j'aurai bâti le mien. Je ne veux point mourir sans avoir vu Hornoy. Je crois voir d'icy Mr de Florian qui dessine, qui fait travailler les ouvriers, qui monte à cheval, qui travaille en tapisserie. Mr d'Hornoi lit des livres de droit, et fait des extraits, et dessine ensuite une chambre et un cabinet.
Le grand point serait d'avoir un beau jardin; c'est là qu'il faut mettre toute sa science, et dans ce jardin de bons espaliers et d'excellents légumes. Voicy le temps où il sied très bien de vivre du produit de ses terres. Tous les impôts Vont augmenter. Il faut bien paier de quoi repousser les pirateries anglaises. Vous qui d'ailleurs êtes à peu près alliée au controlleur général vous trouverez qu'il a raison; car il faut ou se déffendre, ou recevoir la loi, il n'y a pas de milieu. Je ne vois pas comment on ne prie point messrs Pâris, Marquet, Pavée et cent autres entrepreneurs, de prêter au Roi soixante millions à deux et demi pour cent, sur ce qu'ils ont gagné. Mais il ne m'apartient pas de me mêler des affaires d'Etat; je ne dois songer qu'à ma chevalerie, et surtout à vous.
Le Roi de Prusse s'avise toujours de m'honorer de ses Lettres. Il a toujours des droits sur mon imagination, il n'en aura jamais guères sur mon cœur. Il me mande qu'il a trouvé une pucelle d'Orléans, une grosse Jeane qui se bat comme Jeane d'Arc, et qui exhorte ses troupes au nom de dieu à exterminer les papistes et les autrichiens; il ne la dépucellera, ni ne la paiera.