1759-05-28, de Étienne François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous envoie, mon cher ermite, toute votre affaire aussi bien que nous avons pu la consommer; je crois qu'il serait plus aisé de raccommoder le roi de Prusse avec l'impératrice que de faire sortir des blés de France; mais j'ai pris mes précautions avec m. de Joly de Fleury qui m'a promis, ainsi qu'au roi, qu'il donnerait toutes les permissions que vous demanderiez à ce sujet.
S'il me manquait de parole, vous m'en informeriez, et, quoique je n'aie pas grand crédit sur la robe et sur les fermes, j'employerai tout celui que je peux avoir pour vous satisfaire. Votre ode sur la Mort de la Margrave paraît ici ainsi que la lettre qui la suit; cette lettre vous fera des ennemis puissants, et j'aurais mieux aimé qu'elle ne fût pas imprimée; mais il ne faut jamais craindre les choses faites. L'ode contre le roi de Prusse restera dans le plus profond secret tant que la sienne ne paraîtra pas; ce n'est ni moi ni Chauvelin qui l'avons faite; j'en ai donné la matière et quelques vers; un de mes amis a composé le remplissage; je ne la trouve pas trop bonne, parce que je n'ai jamais trouvé une ode bonne, mais elle a le mérite de peindre avec vérité mes sentiments sur le roi de Prusse et le peu de crainte que me cause son prétendu héroïsme. Si le roi me le permet, je vous assure que je lasserai très promptement le courage de ce héros; ce sera alors que le masque tombera; il ne restera que le moral de la plus vilaine âme qui ait jamais existé. Adieu, mon cher ermite; écrivez moi les nouvelles que vous aurez du Salomon du nord, assurez de mes respects mme Denis et regardez moi comme votre serviteur.