1759-05-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je vous envoye mon cher ange mon dernier printemps, mon ouvrage du mois de may.
Il est adressé à mr de Courteil. Ce n'est point à moy d'en juger, c'est à vous. Mais comment prévoir le succez ou la chutte d'une pièce qui n'est ny tragédie ny comédie, ny en rimes ordinaires et qui n'a aucun objet de comparaison? Ne sera t'il pas amusant de la faire donner par le Kain ou par mr de Lauraguais comme l'ouvrage d'un jeune inconnu? J'ay changé la mesure afin que ce maudit public ne me reconût pas à ce qu'on appelle mon stile. N'allez pas vous attendre de belles tirades, à de ces grands vers ronflans, à des sentences, à des attrappes parterre, à de l'esprit, et rien enfin de ce qui est en possession de plaire. Stile médiocre, marche simple, voylà ce que vous trouverez. Mais s'il y a de l'intérest, tout est sauvé. Divin ange je n'ay pas un moment, j'ay quitté la Russie pour vous. Je retourne à Petersbourg! et je baise en partant les ailes des anges.

V . . . .