1759-05-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à François de Bussy.

L'oncle et la nièce monsieur, sont enchantez de vos bontez.
Nous aimons les négociateurs autant que nous craignons les intendants. Si vous avez le temps de lire notre mémoire nous le recomandons à votre esprit trancheur de petites difficultez et à votre cœur bienfaisant. Nous présentons nos très humbles et très inutiles actions de grâce, mais tendres et sincères à M. le duc de Choiseuil. Ny luy ny vous qui songez à l'Europe, ne savez ce que c'est que de faire valoir au milieu des renards, des loups et des neiges des Alpes, des terres qui manquent d'habitans, où L'on ne connait point l'argent de France, où l'on parle le patois de Charlemagne et où les fermiers généraux entretiennent encor quatre vingt quatre commis, ce qui est à peu près le nombre de mes sujets. Ils font bonne chère; et mes paysans ont les écrouelles, les hommes ont la moitié d'une culotte, et les femmes la moitié d'une chemise. Je peuple le pays de suisses; j'y établis un haras du Roy. Je mets hommes, chevaux, beufs et moutons dans un pays où il n'y avait que des glaces, des ronces et deux curez. Si on ne m'aide pas on aura grand tort. Et pour m'aider il faut me laisser faire. Si tous les possesseurs de terres en usaient comme moy, l'état s'en trouverait mieux. Absit vanitas, ma terre de Fernex était autrefois souveraine, je ne demande qu'à être laboureur et meunier. Je compte sur la protection de Monsieur le duc de Choiseuil, sans quoy je me serai ruiné à faire du bien. Prenez mon cher négociateur cette affaire à cœur je vous en conjure. J'espère qu'enfin touttes les vôtres réussiront.

Remerciement, attachement, reconnaissance de la part de v. t. h. ob. str

V. suisse