1758-12-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Mon cher correspondant qui ne correspondrez bientôt plus que sur un bien chétif capital à moins que dieu ne me prête vie, voicy encor douze cent livres que vous aurez la bonté de payer à l'ordre de mr Bontemps ou Markuar pour pareille somme que je prête au prêtre Bertrand de Berne.
Mais permettez moy de récapituler un peu mes affaires, car il faut être sage dans ses folies.

Je vous ay dégarni pour affaire avec notre baron Labat de 90000H
je vous dégraisse pour la mazure de Ferney de 114000
il vous en coûtera pour les préz, les vignes et les terres à froment du prêtre Deodati enclavées au domaine de Ferney 17000 ou environ
il faudra débourser pour les laods, terme barbare d'un droit très barbare, et pour le centième denier et loyaux coûts 15000
le châtau de Ferney me coûtera à le bâtir de fond en comble 50000
286000H

Or on me propose encor des acquisitions pour environ 44000lt les quels joints aux cy devant 286000 feront la somme de livres 333000lt.

Que me restera t'il alors de fonds entre vos mains en comptant les annuitez et billets de lotterie? Je vous demande en grâce de me le dire à peu près, afin que je me détermine, et que je ne me prépare point de regrets. Je ne demande pas un compte exact. Je vous supplie seulement de jetter une vue générale sur les différents effets que vous avez à moy ou que vous avez mis entre les mains de M. Duverger. J'abuse de votre temps et de vos bontez, mais pardonez à un homme qui ne veut pas faire de sottises dans un âge qui ne les permet pas.

Vos Délices sont bien jolies. Jamais Fernay n'en aprochera.