1758-05-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je suis chargé mon cher ange de vous supplier encor de vouloir bien donner un petit coup d'aiguillon au rapporteur de messieurs de Douglas.
Je plains plus que jamais les plaideurs que les raporteurs négligent. Il y a huit ans que madame Denis et moy nous sommes très négligez dans une affaire plus grave que celle de Mrs de Douglas. Mon émerveillement dure toujours que le fils de Samuel nous ait fait banqueroute six mois après avoir pris notre argent, et qu'il ait trouvé le secret de fricasser huit milions obscurément et sans plaisir. Votre premier président son beau frère ne serait il, entre nous, un peu engagé par son honneur et par celuy de sa place à faire finir une affaire si odieuse? Le fils d'un banqueroutier dans notre Suisse ne peut jamais parvenir à aucun employ à moins d'avoir payé les dettes de son père. Mais c'est que nous sommes des barbares, et vous autres gens polis vous donnez vite une belle charge d'avocat général au fils d'un banqueroutier frauduleux. Cependant une partie de la succession entre dans les coffres du receveur des consignations qui prend d'abord cinq pour cent par an pour garder l'argent, et qui gagne six pour cent à le faire valoir; le tout pendant vingt années!

Escelà faire droit, escelà comme on juge?

Pardon, je suis un peu en colère parce que j'ay perdu environ le quart de mon bien en opérations de cette espèce. Mais je ne dois pas me plaindre devant celuy dont les anglais ont brûlé la maison. Mon divin ange je songe à une chose. Si Babet vous procurait une ambassade! Vous me direz que vous êtes trop honnête homme pour négotier, mais il y a des honnêtes gens partout. Je voudrais que vous relevassiez Mr de Chavigni. Comptez que tous nos Suisses seraient enchantez. Que sait on? ce que je vous dis là n'est point si sot. Pensez y. Ma nièce Fontaine est à Lyon. J'espère qu'elle m'aportera mes paperasses enciclopédiques. Savez vous des nouvelles de cette enciclopédie? Je les aime mieux que les nouvelles publiques qui sont presque toujours affligeantes. Mille respects à tous les anges. Je baise toujours le bout de vos ailes.

le suisse V.