1758-05-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange il doit y avoir une petite caisse platte, qui contient quelque chose d'assez plat à votre adresse au bureau des coches de Dijon.
Cette platitude est mon portrait. Un gros et gras Suisse Barbouilleur en pastel qu'on m'avait vanté comme un Raphael, me vint peindre à Lausane il y a six semaines en bonnet de nuit et en robbe de chambre. Je fis partir ma maigre effigie par le coche de Dijon, ou par les voituriers. Une made Rameau, commissionaire de Dijon, s'est chargée de vous faire tenir ce barbouillage. Je vous demande pardon pour ma face de carême, mais non seulement vous l'avez permis, vous l'avez ordonné, et j'obéis toujours tôt ou tard à mon cher ange. Est il vray que la fille d'Aristide le juste a été aussi maltraittée par le parterre parisien que son père le fut par les aténiens? Cela n'est pas poli. Heureusement vous aurez bientôt made du Bocage qui revient dit on avec une tragédie. Madame Geoffrin ne nous donnera t'elle rien?

Et l'ouvrage bigarré de l'enciclopédie comment va t'il? Mon divin ange avez vous vu Diderot? veut il accepter les articles qu'on m'avait confiez? avez vous eu la bonté de donner ces paperasses à made de Fontaine? Notre Tronchin reste trop longtemps à Paris. Il faut le renvoyer au plus vite à made de Groslé.

J'ignore ce qu'on fait sur mer et sur terre. Il parait que les chiens de la guerre, comme dit Shakespear, cessent de mordre et même d'aboier. Les anglais admirent cette expression. Je suis toujours émerveillé de ce qui se passe; celuy que vous appeliez tous Mandrin il y a deux ans, il y a un an, devient un homme supérieur à Gustave Adolfe, et à Charles 12 par les événements. On sera réduit à faire la paix. Dieu nous doint cette douce humiliation. Cependant nous avons une assez bonne trouppe aux portes de Geneve. La nièce et l'oncle vous baisent les ailes.

V.