1757-11-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Joseph Rossignol.

Depuis le prince de la Mirandole, monsieur, on n'a jamais soutenu de thèses si universelles.
Je vous suis aussi obligé de la bonté de m'en faire part, que je suis étonné de votre immense savoir. Vous qui enseignez tout, et votre jeune homme qui apprend tout, vous êtes des prodiges. De tels progrès sont non seulement le fruit du génie, mais celui des méthodes, qui se sont multipliées dans ces derniers temps. Plus il y a de carrières à parcourir et plus on a eu de secours. On n'en avait aucun du temps de Pic de la Mirandole. Aussi ses thèses ne contenaient aucune vérité. L'immensité de son savoir était dans des mots, au lieu que le vôtre est dans les choses.

Ce qui me surprend autant que votre entreprise, c'est ce que vous m'apprenez, qu'il y a encore des péripatéticiens et qu'il subsiste des restes de barbarie dans la seconde ville de France. Je croyais qu'à peine il restait des cartésiens. Quiconque est d'une secte semble afficher l'erreur. On dit un platonicien, un épicurien, un péripatéticien, un cartesien pour caractériser des aveugles qui marchent sous la bannière d'un borgne. On ne dit point un eucledien, un archimedien parce que la vérité n'est pas une secte. Aussi en Angleterre et parmi les philosophes comme vous on n'appelle point neutonien un homme qui se sert du calcul intégral, ou qui répète les expériences sur la lumière.

Ainsi je suis persuadé, que quand vous parlez page 11 de l'explication des phénomènes de l'arc en ciel, et de l'aimant vous ne prétendez pas sans doute mettre de niveau les démonstrations de Neuton sur les réfractions et la réfrangibilité des rayons dans les gouttes d'eau, avec les systèmes hasardés sur l'aimant, et sûrement quand vous vous proposez de défendre en détail le traité d'optique de Neuton vous ne vous proposez que d'expliquer les vérités sensibles, qu'il a démontrées aux yeux.

Votre dernière question est certainement aussi embarrassante que curieuse. Nous ne pouvons avoir autant de connaissance sur l'acoustique, que sur l'optique. Les sons ne donnent pas autant de prise à la géométrie que la lumière. Cependant il me paraît qu'il y a sur la lumière la même difficulté que vous faites sur le son. Comment notre oreille entend elle à la fois quatre parties? et comment notre œil voit il à la fois les points dont les rayons se croisent nécessairement avant de frapper la rétine? Comment les rayons sonores portent ils en même temps à cent mille hommes la basse et le dessus? et comment les rayons visuels apportent ils en même temps à cent mille hommes ce point rouge, et ce point bleu qui doivent s'intercepter cent mille fois?

Dès qu'il s'agit d'expliquer nos sensations, les mathématiques deviennent impuissantes; et c'est là que nous demeurons dans notre première ignorance après avoir mesuré les cieux, et découvert la gravitation de tous les globes. Si quelqu'un, monsieur, peut servir à nous éclairer dans cette nuit profonde, c'est vous. J'ai l'honneur d'être avec les sentiments que je vous dois

monsieur

votre . . . .

Vooltaire gentilh͞o rde du roi