1754-12-29, de Charles Theodore von Sulzbach, Elector Palatine à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous suis bien obligé, monsieur, de la part que vous avéz prise à la maladie que j'ai essuiée et qui m'a empêché de répondre à vos dernières lettres; dans l'état où j'étois je n'aurois pu qu'à peine signer une dernière volonté.
Pendant cette triste situation je me faisois lire Zadig; et si les chapitres de Misouf, du nez coupé et des mages corrompu par une femme qui vouloit sauver Zadig m'ont égaiés, celui de L'hermite, et les réflexions de Zadig avec le vendeur de fromage à la crême, m'ont fait supporter avec moins d'impatience une fièvre chaude continue qui m'a durée 26 jours de suitte.

L'article de Pic de la Mirandole me paroit très bien traité et les réflexions sont aussi justes qu'elles puissent l'être. Je ne sçais pas si vous n'excusez pas trop les usurpations, ainsi dites, sous les premiers empereurs. Il est sûr qu'ils confioient la direction de quelque province à ceux qui possédoient les premières charges de leurs cour et que leurs intention n'étoit certainement pas de laisser ces païs à ceux qui les gouvernoient, et encor moins de les rendre héréditaires dans leurs familles; vous avez très raison de dire que les allemands avoient des princes avant que d'avoir des Empereurs, mais ce ne sont, autant qu'il m'en souvient, ni ces princes ni leurs successeurs qui se soient remis en possession de leurs anciennes dominations; je plaide contre ma propre cause mais par bonheur ‘beati possidentes’. J'attens avec bien de l'empressement le nouvel ouvrage d'histoire qui doit être conduit jusqu'à nos jours, mais j'ai bien plus d'impatience d'en revoir l'auteur et de l'assurer de la parfaitte estime qui lui est duë. Je suis

Monsieur

Votre très affectionné

Charles Theodore Electeur