1757-10-18, de Laurent Angliviel de La Beaumelle à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Il est bien triste pour moi, monsieur, d'avoir à vous demander des consolations, dans le temps que je devrais vous en donner.
J'ai perdu mon père trois jours après mon arrivée ici, et c'était le meilleur des pères. Vous avez raison de maudire la vie, elle n'est pour tout homme sensible qu'un tissu de peines et d'ennuis. Je comprends bien tout ce que votre situation a de fâcheux: dans ce combat de sentiments également vifs, votre cœur doit être déchiré. Quel remède que le voyage? Les affaires de l'Europe vous suivent partout, voilà le roi de Prusse abîmé. Vous ne pouvez guère balancer entre vos deux maîtres: mais votre inclination pour l'un doit être bien combattue par votre inclination pour l'une de vos deux patries. Je crains moins pour vous, monsieur, les impressions que les français auront laissées à Berlin contre les français, que celles qui naîtraient au roi de Prusse s'il ne vous revoyait qu'après la paix. En recevez vous quelquefois des nouvelles? Un prince tel que lui, présent à tout et à qui tout est présent, pourrait fort bien perdre des batailles et vous écrire qu'il ne les a pas gagnées. Il est vrai que la déclaration contre la république des lettres, est effrayante et comparable à tout ce que certains empereurs enfantèrent d'arbitraire et d'atroce: mais il me semble qu'une édition de … ne peut être sujette aux caprices du ministère. Il sera même aisé d'avoir pour soi les dévots dont il brise les idoles, le roi dont il supprime le panégyrique, ses amis dont il efface les louanges et mille gens dont il attaque la réputation. Cette édition ci ne sera qu'un antidote contre des écrits que les trois quarts de l'Europe regardent comme venimeux. Je ne sais quand l'ouvrage pourra paraître: mais il ne me paraît pas possible de l'achever sans m'en ouvrir sérieusement à cet abbé qui ne sait rien taire, mais qui m'est absolument nécessaire pour quantité de pièces insignes contre Voltaire que je n'ai pu encore rassembler et qu'il connaît ou qu'il a. Votre compatriote a la manie de vouloir paraître tantôt important, tantôt le confident de ses amis: c'est ce qui le rend indiscret: d'Argental n'a pu être frappé de la lettre de Voltaire sur votre expédition au pôle, car il sait très bien que Voltaire est un coquin, et il ne lui est attaché que parce qu'il est un coquin lui même…. Je pars dans quelques jours pour Montpellier. Cependant comme mon départ pourrait bien être différé, adressez moi ici votre réponse ou plutôt ne m'en faites point, car tant de lettres doivent vous fatiguer, à présent surtout que vous n'avez pas de secrétaire. Adieu, monsieur, je vous suis dévoué sans réserve et sans compliment.

La Beaumelle