1758-04-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon divin ange, j'avoue d'abord que l'envie de vous voir est très capable de me faire donner les conseils les plus intéressés.
Je ferais des friponneries pour obtenir de vous un petit voyage aux Délices. Mais si je suis capable de ne pas écouter un si grand intérêt, je vous dirai que le vôtre est assurément de faire un tour à Lyon. Soyez bien sûr que le confident vous servira comme vous méritez d'être servi. Mais votre présence fera bien mieux. Ce serait une façon bien simple, bien honnête, de vous faire prier par made de Groslée de venir la voir. Je suis persuadé que le confident n'aura pas de peine à lui faire dire qu'elle en meurt d'envie, quoique à son âge on n'ait peut-être d'autre envie que celle de vivre.

Mais s'il lui reste quelque étincelle de bon goût, comment ne souhaiterat-elle pas très ardemment de vous avoir quelque temps auprès d'elle? Je vous crois bien gauche, mon cher et respectable ami, quand il s'agit de mitonner un héritage, mais le confident travaillera pour vous. Votre unique besogne est de plaire, et c'est à quoi vous réussissez mieux que personne au monde sans même y songer. Le confident sera à Lyon au mois de mai. Plût à dieu que vous y fussiez au mois d'août! Voilà peut-être une belle chimère, mais je ne connais point de vérité qui me fasse autant de plaisir qu'une si chère illusion. Et pourquoi serait ce une chimère? Vous sentez bien qu'il n'y a pas de temps à perdre. Les visites qu'on doit à des dames de quatre-vingt ans ne peuvent guère être différées. C'est à Made de Groslée à vous payer votre maison de l'île d'Aix puisque le gouvernement ne peut vous indemniser. Made de Crèvecœur a eu vingt mille francs de pension pour épouser le fils de made de Lutsbourg. Si on fait beaucoup de pareils arrangements, il ne reste pas de quoi payer les maisons brûlées. Il ne restera pas même de quoi empêcher qu'on en brûle d'autres s'il est vrai qu'on ait pris les vaisseaux de mr Duquence et si les affaires de terre sont aussi délabrées qu'on le dit. Cependant a-t-on joué la fille d'Aristide? a-t-on donné quelque belle tragédie nouvelle? recommence-t-on le travail de l'encyclopédie? D'Alembert se laisse-t-il fléchir? Je voudrais bien savoir où l'on en est afin de m'arranger pour mes petits articles.

Mes respects à made d'Argental et à tous les anges.

V.