à Strasbourg 30 aoust [1753]
J'ai vû cet imprimé dans le quel on fait un tableau ridicule de la vie privée du Roi de Prusse.
Il est aisé d'en reconnaître l'auteur puisqu'il était au mois de juin 1752 à Berlin, ainsi que porte la datte de son écrit, et que le même homme a déchiré ainsi toutes les Cours où il a passé. Cet homme voudrait être l'Erostrate de l'Europe; il croit par tout brûler des temples; et il connait à peine des basses cours. Je ne sais pas où ce malheureux a été puiser les détails de la cuisine de Potsdam qu'il étale. J'ai demeuré trois ans à Potsdam, et je n'ai jamais eu de tels mémoires. Cet auteur parait l'Arétin des marmitons. Il n'y a qu'un seul article qui me regarde; cet article est très-faux à cela près qu'il m'appelle un squelette Apollon. Je ne suis point Apollon, mais je suis, il est vrai, un peu squelete: Ce n'est pas plus ma fautte, que ce n'est celle du Roi de Prusse de n'avoir que cinq pieds deux pouces. On n'a jamais jugé des hommes ni par l'embonpoint, ni par la taille. Si l'auteur de ces belles recherches s'en était tenu-là, il ne serait qu'impertinent, mais il manque de respect au Roi de Prusse, et à toute la Famille Roïale de la manière la plus criminelle. C'est un tissu de calomnies écrites au hazard par un fou. Il est très-triste pour moi qu'on ait imprimé à la suite de cet ouvrage si punissable, la lettre que je vous ai écrite de Mayence. Ceux qui vous en ont pris copie, sont bien indiscrets; et ceux qui l'ont faite imprimer, ont violé les droits de la société. Mais on n'y voit pas un mot qui ne parte d'un cœur pénétré de respect pour le Roi de Prusse, autant que d'affliction. Ce sont deux sentimens que je porterai au tombeau. Le singulier de tout ceci, c'est que depuis que j'ai quitté Potsdam, je n'ai écrit que pour déffendre la gloire du Roi de Prusse contre les impostures de La Beaumelle. Je sais très-bien qu'il n'en a pas besoin; mais enfin j'ai été son Chevalier errant, et cependant comment nous a-t-il traités! J'espère toujours que sa philosophie et sa bonté l'emporteront sur sa colère, et qu'il aura quelque regret du mal qu'il nous a fait.
Bonsoir ma chère enfant, je dicte toujours, je ne peux plus écrire. Je traîne ma vie et ma mort. Un grand roy n'aurait pas dû empoisonner l'une, et avancer l'autre. Je vous embrasse. Supportez vos maux et les miens.
V.
Je viens dans ma douleur de relire ma lettre imprimée. Elle est bien falsifiée, c'est un mal de plus.