1763-01-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

Mes yeux vous sont très obligés, mon cher monsieur, voicy une Lettre que vous pouvez envoyer à made Calas, pour mr le Marquis de Gouvernet.

Comptez que nous sommes tous des imbéciles, ce n'est point avec des livres qu'on obtient des grâces de la Cour; et l'apologétique de Tertulien ne fut pas lû seulement d'un marmiton de Cuisine de l'Empereur. Les bons livres peuvent faire des philosophes, encor n'est ce que chez les jeunes gens, les autres ont pris leur plis. C'est ce qui fait que mr De Crosne est entièrement pour nous, indépendamment même des formes juridiques. Mais il faut des formes à mrs d'Aguesseau et Gilbert, qui ne sont point du tout philosophes. Il faut auprès des ministres de très grandes protections, et point de livres. Un bon ouvrage peut porter son fruit dans quinze ou vingt ans, mais aujourd'hui il s'agit d'obtenir la protection de made de Pompadour. Le grand point est d'intéresser son amour propre, à faire autant de bien à l'état, que made De Maintenon a fait de mal. Je répondrais bien de sa bonne volonté, et de celle de Mesrs les Ducs de Choiseuil et de Praslin. Mais avec tout celà, l'affaire ne serait pas encor faitte, tant il est difficile de changer ce qui est une fois établi. C'est assurément une très belle entreprise, elle demande encor plus de soins que l'affaire des Calas. Je mourrais bien content, si j'avais mis une pierre à cet édifice. Nous raisonnerons de tout celà avec mr Moultou, l'homme du monde que j'estime le plus, et en qui j'ai la plus grande confiance.