2 aoust [1760]
Votre zèle vous inspire trop de crainte madame.
Pour moy j'espère baucoup. On a brûlé moins de monde qu'on ne vous l'a dit. Dieu d'ailleurs ne protège point les gens qui brûlent, fût ce les inquisiteurs. Il est vray que tout ce qu'on voit est bien étrange, et qu'il est assez difficile de prévoir comment tout finira. Je mets ma tête dans un sac et j'attends les événements.
Je ne suis pas si indiférent sur vos affaires madame. Ratrapperez vous votre terre de Kniphausen? Il est juste qu'on rentre dans le bien de ses pères. Votre avocat mr du Triangle ne soufrira jamais l'injustice qu'on fait aux dames. Je n'ay pour vous que le mérite de faire des vœux, mérite bien faible, et trop inutile. Il me semble que je mourrais content si j'avais pu contribuer au gain de votre procez. Je vous supplie madame de daigner me mander où vous en êtes.
A l'égard des affaires publiques, nous sommes très régulièrement informez des événements principaux, mais il y a toujours des détails qui nous échapent. Voicy un moment de crise, daignez continuer à satisfaire ma curiosité. Dites moy par exemple pourquoy les russes ne sont pas encor signalez. Dites moy si l'on croit que le Roy de Prusse ait effectivement plus de cent vingt mille hommes dans ses différents corps d'armée. Dittes moy tout ce que vous savez. Songez que vous écrivez à un solitaire qui ne peut, et qui assurément ne veut pas faire un mauvais usage de vos bontez. Vous connaissez tous mes sentiments, et surtout celuy du respect et du sincère attachement que je vous ai voué.
V.