aux Délices près de Geneve 14 juin 1757
J'ay reçu monsieur à ma campagne, dans le voisinage de Genêve les livres que vous avez bien voulu m'envoier dans les quels était votre lettre.
Voilà bien des remerciments que je vous dois. Votre souvenir, vos bontez et votre itinéraire très curieux de Suisse me pénètrent de reconnaissance.
J'admire la force du tempérament de Mr votre oncle, elle est égale à celle de son esprit. Il a résisté en dernier lieu à une maladie à la quelle toutte autre constitution eût succombé. Personne au monde n'est plus digne d'une longue vie. Il a employé la sienne à nous fournir les meilleurs secours pour la connaissance de L'antiquité. La plus part de ses ouvrages ne sont pas seulement de bons livres, ce sont des livres dont on ne peut se passer. Je vous prie monsieur de vouloir bien luy dire qu'il n'y a personne au monde qui ait pour luy plus d'estime que moy. J'ay assurément les mêmes sentiments pour le neveu, et j'ajoute monsieur que si vous vous occupez des mêmes études que ce savant homme, vous y porterez un esprit encor plus philosofe que luy. Je voudrais bien que ma santé me permit de venir quelque jour dans vos cantons, et que je pusse encor jouir de votre aimable société et de votre bibliotèque. Vous souvenez vous du temps où vous montiez si agilement à l'échelle pour me dénicher un livre et pour me montrer la page dont j'avais besoin? Il s'en faut bien que j'aye de pareils secours dans le pays que j'habite.
La personne qui désirait placer quelque fonds sur une communauté libre et indépendante de la France, a pris son parti avant que je reçusse l'honneur de votre réponse. Mais c'est une affaire qui peut se renoüer à la première occasion. C'est une veuve d'environ cinquante ans qui voudrait des rentes viagères exactement payées au denier dix; elle ne pourait mieux faire que de se mettre entre les mains d'une communautéà la tête de la quelle vous êtes. Je ne désespère pas de venir faire cette affaire avec vous, si elle vous agrée, et si elle ne soufre aucune difficulté.
J'ay l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire