Monsieur,
Si d'un côté nous avons vu avec plaisir, dans une de vos lettres écrite à Paris & imprimée dans le Mercure de France, que vous parlez obligeamment du lieu de votre retraite, & que vous continuez à désavouer l'infâme poème de la Pucelle d'Orléans; de l'autre nous n'avons pu qu'être surpris & blessés d'y lire cette phrase:
'Ce n'est pas une petite preuve du progrès de la Raison humaine, qu'on ait imprimé à Geneve, dans mon Essai sur l'Histoire, avec l'aprobation publique, que CALVIN avoit une Ame atroce, aussi bien qu'un Esprit éclairé. Le Meurtre de Servet paroit aujourd'hui abominable.'
Je ne sais, monsieur, si vous avez senti toute la conséquence de ces paroles: peut-être avez vous cru faire honneur à nos magistrats autant qu'à vous, en supposant de leur part une approbation. Peut-être croyez vous ne faire qu'une agréable hyperbole, en traitant si mal & leurs prédécesseurs & le grand Calvin. Ce sont là de vos jeux. Mais comme cela touche à l'honneur de notre patrie, il est juste de nous défendre.
Il semble que vous ne preniez à partie que Calvin; & quel plaisir pour vous, que de déchirer une telle robe! Mais ne voyez vous pas que vos coups portent plus loin, je veux dire sur nos magistrats? Car Servet fut jugé par les juges ordinaires, par le petit conseil, qui dès lors n'était pas moins bien composé qu'il l'est de nos jours. Vous supposez donc, que tout ce conseil fut capable de commettre une iniquité criante, un meurtre abominable, pour servir la passion d'un homme. Est il possible, monsieur, que l'envie démesurée de noircir un théologien vous empêche d'apercevoir que, du même coup de pinceau vous noircissez tout un corps de magistrature?
Pour venir au fond de la chose, si vous vous étiez contenté de dire en termes décents & mesurés, que ce jugement ne nous fait pas honneur, & qu'il n'y a personne aujourd'hui parmi nous qui l'approuve, vous n'auriez dit que la vérité; & cela suffisait à votre but, qui était de montrer les progrès de la raison humaine. Mais votre vivacité vous emporte toujours trop loin. Vous n'êtes pas content, si vous n'allez jusqu'à rendre odieux les auteurs de ce jugement. C'est un meurtre, dites vous: expression impropre qu'on n'emploie pas, quand il s'agit d'un supplice ordonné par des tribunaux légitimes, agissant de bonne foi, suivant les lois de leur pays, quoique ces lois puissent être mauvaises en elles mêmes; autrement il faudrait aussi qualifier d'abominables meurtriers tous les officiers romains qui exécutaient les lois impériales contre les chrétiens. Il faudrait couvrir d'opprobre le bon Trajan lui même, assez prévenu pour écrire à Pline, si on vous les dénonce, ne les épargnez pas: et que direz vous de tous ces princes, de tous ces parlements, de tous ces juges, qui, de la meilleure foi du monde, condamnent tontôt des sorciers, tontôt des hérétiques? Leur donnerez vous aussi une âme atroce?
Ah! monsieur, nos martyrs eux mêmes, qui ont tant souffert de ces lois sanguinaires, n'accusaient pas leurs juges de méchanceté: plus modérés que vous, ils disaient, comme les apôtres le dirent aux juifs, Act.111.17, Nous savons bien que vous avés agi par ignorance aussi bien que vos Sénateurs.
En effet, il est dans l'humanité de faire quelquefois par ignorance des actions très inhumaines. Combien d'inquisiteurs sont d'un caractère assez doux? Combien de meurtres se sont commis en conséquence du faux point d'honneur, sans qu'on puisse traiter de scélérats tous ceux qui se laissent entraîner à des opinions si fausses & en même temps si cruelles? Il est des erreurs régnantes au dessus desquelles d'honnêtes gens & de bons esprits, ne s'élèvent pas: telle a été trop longtemps celle de l'intolérantisme. Il y avait des lois pénales contre les hérétiques, comme contre les blasphémateurs, & contre les sorciers. Ces lois sont anciennes, dérivées du droit romain, & trop fortifiées par le droit canon. Elles étaient reçues partout il y a deux siècles; elles l'étaient également ici, & soixante ans après Servet, on vit encore un triste exemple de leur exécution. Vous savez que ces lois sont toujours en vigueur dans la moitié de l'Europe. De là ce sage avis de Boileau à ses confrères les poètes, qui n'en ont pas tous profité:
Suivant cette jurisprudence, que personne ne contredisait, & d'où l'on partait, comme d'un principe, la seule chose qu'avaient à faire les tribunaux dans les cas particuliers, c'était de bien faire l'application de la loi, en examinant si un tel était blasphémateur ou hérétique; c'est sur quoi l'on consultait les théologiens comme témoins & comme experts. Si le résultat de cet examen était, que le prévenu paraissait réellement coupable de ce qu'on regardait alors comme un blasphème & une hérésie capitale & que de plus il fût relaps & obstiné, le juge civil prononçait sans le moindre scrupule une sentence de mort. Ainsi procédèrent les commissaires royaux qui condamnèrent à Paris Anne du Bourg & plusieurs autres protestants: ainsi procéda le parlement de Toulouse contre Vanini; ainsi notre magistrat contre Servet. Aujourd'hui l'on trouve cette loi injuste & l'on remarque, avec raison, qu'il ne faut pas traiter de crime, ce qui peut n'être qu'une erreur de l'entendement: c'est par cette sage distinction que notre siècle se montre en divers lieux plus équitable & plus éclairé qu'on ne l'était auparavant. Félicitez nous, monsieur, & félicitez vous aussi d'un tel adoucissement; mais n'affectez pas d'en faire uniquement honneur à la raison, puisque vous voyez que les lieux où cette douceur s'établit le mieux sont ceux où le christianisme est le plus épuré & que vous ne devez pas ignorer qu'en effet tous les principes de l'évangile tendent à la liberté d'examen, à la charité, à la tolérance. Mais que vous en manquez vous même envers un grand homme! Calvin, dites vous, avait l'Ame atroce aussi bien que l'Esprit éclairé. Cela est il digne de vous? On y reconnaît bien votre figure favorite, l'antithèse; on y reconnaît aussi cet esprit mordant, qui vous est naturel. Du reste, c'est un emportement grossier & monacal. Peut-être ferez vous passer cela pour une simple licence poétique, comme celle, où vous vous êtes permis, contre la foi de l'histoire & sur la foi d'un proverbe mal entendu, de travestir un prince, un pape, aussi sage, aussi estimé de son temps que l'était Felix v en un épicurien très dissolu.
Calvin n'avait pas seulement les qualités d'esprit, que vous lui reconnaissez; il n'était pas seulement savant, laborieux, éloquent & l'un des meilleurs écrivains de son siècle, c'était de plus un homme véritablement pieux, sincère, très, réglé dans ses mœurs, désintéressé, ayant des vues droites, & des vues supérieures pour le bien public, à qui notre état & toute l'église réformée ont de grandes obligations. La célébrité de son nom & le lieu où vous êtes n'exigeaient ils pas de vous plus d'égards & plus de ménagements? Les honnêtes gens catholiques ne vous sauront pas plus de gré de cet emportement, que nous ne vous en savons, monsieur, pour la façon peu mesurée dont vous parlez des papes. N'outrons rien, & gardons toujours les bienséances.
Il est vrai que le grand homme que vous insultez était homme. Nous ne canonisons point ses défauts; nous ne le prenons pas pour notre maître, surtout dans la thèse dont il s'agit; mais nous révérons son savoir & ses vertus. Il était d'une humeur austère, comme Caton, comme st Chrisostome; ses fréquentes maladies, ses travaux prodigieux, les traverses de sa vie, contribuèrent encore à donner à son zèle une sorte de raideur, bien pardonnable avec tant de belles qualités, bien estimable dans son principe, bien nécessaire en ce temps là. Car, monsieur, où trouvera-t-on un homme qui entreprenne des choses difficiles, qui se raidisse contre une faction comme celle qu'on appelait alors des libertins, qui se mette à la brèche pour établir une bonne discipline, en un mot, où trouvera-t-on un réformateur, si ce n'est parmi ces âmes fermes & mêmes rigides? Erasme, plus souple, plus doux, plus faible, aurait il fait l'ouvrage de la réformation? Quelquefois, il est vrai, ce zèle rigide va trop loin; c'est un défaut qui tient à de grandes vertus.
La première profession de Calvin ayant été celle de docteur en droit, il se trouvait imbu, comme tous les jurisconsultes, de ces lois dont j'ai parlé: cela paraît par l'apologie qu'il publia en français, l'an 1554, où il soutient expressément cette thèse, qu'il est licite de punir les hérétiques. Et son illustre collègue, Théodore de Bèze, le croyait comme lui, puisque nous avons de sa main un traité, De Hœreticis gladio puniendis. Assurément il eût été digne de ces deux beaux génies de secouer un tel préjugé, comme ils en avaient secoué tant d'autres; & tout les y conviait: ils en étaient eux mêmes la victime; car avec quelle force ne retorquait on pas ce principe contre eux, & quel terrible usage n'en faisait on pas en France contre tout leur parti? A présent, quand on argumente ainsi contre nous: Vous êtes des hérétiques: or il faut châtier les hérétiques. Donc &c., nous avons un double moyen de défense, en niant également la majeure & la mineure: la majeure parce, disons nous, que notre doctrine est conforme à la parole de dieu; & la mineure, parce que même en supposant que nous fussions dans l'erreur, les voies de contrainte sont déplacées, & illicites en de telles matières. Par malheur pour nos prédécesseurs, étant peu éclairés, sur le second point, par un reste de préjugé, puisé dans une autre église, ils ne pouvaient se retrancher que sur le premier point, en disant: Convainquez nous d'hérésie par la parole de dieu. Mais comme c'était là justement le point en question, & que leurs ennemis ne manquaient pas de le décider contre eux, le droit restait au plus fort. Plaignez les donc, monsieur, de n'avoir pas assez tôt secoué la vieille & horrible erreur de l'intolérantisme; mais rendez au moins justice à leur droiture & convenez qu'ils étaient dans cette erreur de très bonne foi, puisque tant de raisons & tant d'intérêts pressants ne les en désabusèrent pas.
Sur ce pied là Calvin ne pouvait regarder Servet, qui lui était connu depuis longtemps, par ses écrits & par ses lettres, que comme un de ces hardis ennemis de la religion, qui sont punissables par les lois; d'autant plus que cet Espagnol, d'ailleurs assez savant, mais inquiet, imprudent & fanatique, ne gardait presque point de mesures, & n'allait pas moins qu'à ce qu'on appelle aujourd'hui le spinosisme: la conjoncture du temps aida encore à envenimer l'affaire. Les ennemis de notre réformation ne cessaient d'accuser cette ville d'être l'asile des athées, des novateurs, des libertins. Servet arrive alors, échappé des prisons de Vienne, où on le brûla en effigie. Il demeura caché ici plus d'un mois. Notre théologien l'ayant appris, crut qu'il était de l'honneur de notre église & de son ministère, de le dénoncer au magistrat & ensuite d'intervenir dans le procès avec ses collègues quand on les y appela pour aider à le convaincre. Servet acheva d'indisposer ses juges par ses emportements. On le condamna. Fit on bien? Non, il fallait le remettre au jugement de dieu. C'est une tache à notre histoire, c'est une tache à la vie de Calvin; nous en convenons. Mais avec la même équité, monsieur, convenez que c'est une de ces taches, qu'on peut reprocher à tous les tribunaux du monde, une de ces taches qui ne caractérisent pas toujours un défaut de droiture, mais un défaut de lumière, & que l'on doit plutôt rejeter sur une erreur de l'entendement, que sur un vice de la volonté, surtout quand on voit que c'était l'erreur commune du siècle. Pour vous, monsieur, vous renversez cet ordre; & afin qu'on ne s'y méprenne pas, afin d'écarter d'ici tout jugement charitable, & de faire plus sûrement tomber tout le blâme sur le cœur, vous avez soin, par raffinement, d'y mêler une louange perfide, en exaltant ici même l'esprit de Calvin: Il avoit, dites vous, une Ame atroce avec un Esprit éclairé.
Et n'allez pas dire comme font quelques uns qui vous excusent, que vous n'avez fait qu'imiter ces mots d'Horace, Atrocem animum Catonis. Ce serait un faux fuyant. Nous entendons le latin, monsieur, & nous entendons aussi le français; nous savons que les mots latins ne se prennent point là en mauvaise part, mais qu'ils signifient simplement une âme austère & inflexible, en sorte qu'il serait ridicule de les rendre en notre langue par une âme atroce, qui est l'équivalent d'une âme noire, épithète horrible, aussi peu faite pour Calvin que pour Caton. Gardez la pour un Catilina, pour un Phalaris, ou si vous voulez pour l'auteur obscur dont vous parlez dans votre lettre, qui se moquant de dieu & de la vertu, a su faire un diabolique pot-pourri d'obscénités, d'impiétés & de malice.
Mais comme si c'était peu que d'avoir si indécemment invectivé contre notre plus grand théologien, vous y mettez le comble en nous impliquant nous mêmes dans votre injustice. Cela, dites vous, a été imprimé à Genève avec l'aprobation publique. Premièrement les mots d'âme atroce ne se trouvent point dans votre Essai sur l'histoire. Il est vrai que vous y parlez mal de Calvin; ce n'est pourtant pas en des termes tout à fait si choquants. Mais qu'allez vous dire d'une prétendue approbation? C'est ce qui nous blesse le plus. Vous êtes bien le maître de vos propres jugements, sauf à en répondre; mais vous ne l'êtes pas de dire qu'on les approuve; & il nous importe d'autant plus de nous en défendre, que cette fausse insinuation porterait non seulement sur l'article en question, mais sur tout le contenu de vos ouvrages. Car sur ce pied là, vous pourrez aussi un de ces jours écrire confidemment à votre ami qui peut-être ne s'en taira pas:
'Admirez le progrès de la philosophie (c'est à dire de l'épicuréïsme), vous savez combien j'ai subtilement lâché des traits contre la providence, contre l'immortalité de l'âme, contre la religion des Juifs, contre l'histoire sainte, contre les prophètes &c. Vous voyez avec quelle adresse je travaille à affaiblir, à saper toutes les preuves du christianisme, & comment sous l'agréable forme d'une histoire, j'ai su faire une véritable satire de la religion: et cependant tout cela vient d'être imprimé à Genève avec l'approbation publique.'
Où en serions nous, monsieur, si l'on allait vous en croire sur votre parole? Que vous ont fait nos magistrats, pour les flétrir ainsi aux yeux de leur peuple? Et que vous avons nous fait pour nous déshonorer dans toute l'Europe, en nous associant à vos profanations? En vérité l'on ne sait envers qui, ou de nous ou de nos ancêtres vous êtes le plus injuste. Vous les chargez d'une iniquité, là où ils n'ont agi que par prévention, & vous nous imputez une approbation de vos sentiments & de vos ouvrages, là où il n'y a réellement qu'une liberté laissée à la presse. En effet, monsieur, vous savez que quoi que nous ayons des magistrats préposés en général sur la librairie, ce n'est pas comme en France, où un censeur examine scrupuleusement un manuscrit, pour ne rien laisser passer de répréhensible, après quoi l'approbation se met à la tête du livre. Cependant vous savez qu'en France même, l'on a aussi une autre méthode en faveur des libraires, qui est de fermer les yeux à l'impression de divers ouvrages, que l'on n'approuve pas, pourvu qu'ils portent le nom d'un pays étranger. Ici, pays encore plus libre, on est encore moins sur le pied de gêner la presse; & l'on y laisse aisément imprimer le pour & le contre, les controversistes catholiques, tout comme les nôtres. On y a même imprimé le dictionnaire de Bayle. C'est une connivence en faveur du commerce, bien différente d'une approbation. Peut-être aurait on dû être plus sur ses gardes contre ce qui sort de votre plume. Mais après les leçons que donnent l'âge & l'infirmité, après les déclarations que vous avez souvent faites de ne penser plus qu'à vivre en repos, sans causer aucun scandale; après les sentiments que vous aviez encore manifestés à nos magistrats, quand ils firent brûler par la main du bourreau, les horreurs de la Pucelle, il ne leur venait pas dans l'esprit, qu'il fallût prendre avec vous, ni avec vos libraires, qui sont gens d'honneur, d'autres précautions que celle d'exiger comme en d'autres rencontres que le lieu de l'impression ne parût pas; & en effet il n'y est point. Seulement les libraires s'y sont nommés; cela est de trop. Quand l'ouvrage vit le jour, non tome à tome, mais tout à la fois, on sentit que vous n'aviez pas été assez retenu. Mais le mal étant fait, l'on ne dit mot, espérant qu'au moins le public équitable ne nous imputerait rien d'un livre qui ne porte pas le nom de Genève, & qui s'imprime ailleurs comme ici. La chose eût en effet passé de cette manière, sans la nouvelle imprudence, par où vous allant vanter d'une approbation publique, vous nous mettez dans la nécessité & nous fournissez une belle occasion de nous justifier dans le public, en déclarant hautement, que si par approbation publique, vous entendez celle du magistrat, il n'est pas vrai que vous l'ayez obtenue; & si vous entendez le jugement du public, ah, monsieur, qu'il vous est peu favorable sur ce point! Car quoi qu'on lise avec plaisir ce qu'il y a de bon & d'agréable dans vos écrits, sachez que notre ville & toute la Suisse est fort blessée, fort scandalisée de l'irréligion que vous y semez, & que tout le monde blâme, déplore, déteste l'abus que vous faites de vos talents. C'est de quoi vous pouvez déjà juger par l'indignation que témoigna notre Vénérable Consistoire & par la plainte qu'il porta à nos seigneurs, le 19 de ce mois, sur l'abus que vous faites des termes d'approbation publique. Vous verrez aussi, que tout modérés que sont nos théologiens, ils entendent bien ce beau mot de st Paul, la vérité avec la charité, & que conciliant ces deux devoirs, ils sauront bien sans intolérance fournir l'antidote au poison que vous répandez. Il s'est même formé déjà une société d'amis, de différente profession, mais tous unis par la qualité de chrétiens & de citoyens, qui se proposent d'examiner vos ouvrages du côté qui intéresse la religion. Vous avez critiqué les pensées de Pascal: on pèsera aussi les vôtres, & par de petites lettres comme celle-ci, lâchées de temps en temps, pour vous donner le loisir d'y réfléchir, & pour monter notre ton sur celui que vous prendrez, on vous fera voir, tantôt que vous n'êtes pas heureux en citations; souvent que la vivacité de votre imagination, ou l'envie de dire un bon mot vous mène au delà du vrai, qu'enfin comme il n'est pas donné à l'homme d'être universel, la qualité de grand poète & d'écrivain élégant sur des matières de goût, que tout le monde vous accorde, ne vous assure pas le même succès sur des matières graves & respectables, que vous n'aimez ni n'entendez.
Vous voyez, monsieur, qu'en nous y prenant autrement que nos pères, & sans autres armes que la plume, nous ne laisserons pas de témoigner le même zèle, & de montrer qu'on peut défendre l'évangile contre des sophismes, sans oublier la douceur & le support que ce même évangile nous recommande envers les errants. Nous y joindrons un souhait bien sincère, c'est qu'en même temps que vous trouvez une si douce retraite dans nos paisibles contrées, vous tâchiez de mieux connaître une doctrine pure & céleste, qui est véritablement la meilleure philosophie, seule propre à élever l'homme au dessus des misères humaines, seule propre à régler & à calmer les passions, seule capable par là de donner cette paix de l'âme, qui ne se trouve point dans les égarements du vice ni dans le ténébreux labyrinthe de l'irréligion.
Nous sommes, monsieur, vos très &c.
A Genève le 30 mai 1757