à Lausanne ce 16 Mars 1757

Monsieur et très cher Patron,

… Je vous ay regretté de toutes façons, Mon Cher Monsieur, et dans la bonne Compagnie qui jouissoit quelquefois avec tant de goût de la Vôtre, et en particulier Vendredi et Lundi dernier, jours de la représentation de l'Enfant Prodigue.
Outre que le Théâtre étoit mieux qu'auparavant, Je crois que Monseig^r De Bonstetten et vous Monsieur auriés été Content de l'Exécution, en supposant toujours que C'est une Trouppe d'amateurs et non des Acteurs de Profession. M^r de Voltaire qui jouoit le Rolle d'Euphémon Père étoit dans le vrai ton de son Personnage. Euphemon fils Prodigue étoit M^r le Capitaine de Crousaz, bon acteur qui fit très bien, et M^r de s^t Cierge celui de Fier-en fat, Comme M^r Samuel Constant celui de Rondon. M^r d'Hermenches fut le valet. Les Femmes étoient Mad^e la Marquise de Gentil p^r la M. de Croupignac, à merveilles, Mad^e d'Hermenches le Rolle de Lise avec un goût, une Justesse, des gestes et une décence qui charma M^r de Voltaire même. Mad^e d'Aubonne fit très agréablem^t la suivante. Je ne dis rien du petit Opéra Comique Italien, intitulé le Joueur, parce que ces petits spectacles vous paroissent venir hors de propos troubler l'impression du sentîment. Je vous avoüe, aureste, que je suis tellement de votre goût que je quittai à la fin de la grande pièce; et que même cette grande pièce n'eût pas été précisément celle que j'aurois choisie, entre celles de Notre Illustre. On attend p^r samedy la Nouvelle Composition de M^r de Voltaire, Zulime [si j'ay bien retenu le Titre] et pour laquelle il se fait dit on de grands Préparatifs. Je n'en connois rien encore parce que je ne cherche jamais à rien pénétrer, et que je n'ay pas vû l'auteur depuis le Dimanche que j'eus l'honneur de vous y accompagner. J'ay l'honneur d'être avec toute la Considération et le dévoument imaginable

Monsieur et très cher Patron

Votre très humble et très obéiss^t serv^r

Seigneux de Correvon