[1755/1756]
Mais ils écrivaient au gros gourmand, au buveur Broussin avec lequel ils soupaient; et vous n'écrivez messieurs qu'à un vieux philosophe qui cultive la terre. Je finis comme Virgile commença, par les georgiques. Voylà tout ce que j'avois de comun avec luy. J'y ajoute encor que les Horaces de nos jours m'écrivent de très jolis vers. Souvenez vous qu'Horace fit un voiage vers Naples où il rencontra ce Virgile qui était disait il un très bon homme. Je suis bon homme aussi, mais ce n'est pas assez pour de beaux esprits de Paris; et il faudrait quelque chose de mieux pour vous faire entreprendre le voiage des alpes, qui n'est pas si plaisant que celuy d'Horace votre devancier.
Je crois que malgré les mauvais livres qui pleuvent il y a encor dans Paris assez de goût pour que vos commis de la poste n'ignorent pas la demeure de gens de votre espèce. Vous ne m'avez point donné d'adresse. Je présente à tout hazard mes obéissances très humbles à mes deux confrères. Le gentilhome ordinaire du roy est doublement mon camarade car le roy m'a conservé mon brevet. Mais le dieu des vers m'a ôté le sien. Rien n'est si triste qu'un poète vétéran. Nunc itaque et versus et cetera ludicra pono. Mais j'aime passionnément les vers quand on en fait comme vous. Je me borne à vous lire et à vous dire combien je vous estime tout deux.
V. t. h. et [? o].